A défaut d’une communication rigoureuse et prise en main par de vrais professionnels, la parole présidentielle risque de partir dans tous les sens. Voici deux exemples édifiants des ratés qui risquent d’écorner l’image du chef de l’Etat, Kaïs Saïed.
Jacques Pilhan, le conseiller fétiche en communication de François Mitterrand puis ensuite de Jacques Chirac, conseillait aux deux présidents de ne pas démystifier la fonction présidentielle. Et ce, en utilisant le silence comme un moyen puissant de créer du désir auprès des citoyens. Qu’en est-il concernant le Président de la République tunisienne Kaïs Saïed?
Car, selon sa doctrine qui sert désormais de référence, la rareté crée naturellement un besoin que nous cherchons à combler. Si, au contraire, la parole présidentielle est trop fréquente, elle se confond peu à peu avec les informations courantes traitées par les médias et donc perd de sa valeur. Une chose proprement inconcevable pour un chef d’État.
Et que dire alors de la parole présidentielle du locataire du palais de Carthage que les spécialistes de la communication jugent, selon les circonstances, chaotique, surabondante et empreinte d’ambigüité? En voilà deux exemples édifiants.
Silence radio
Premier exemple. Fait rarissime depuis l’Indépendance et même sous le règne beylical, le président de la République, Kaïs Saïed, ne s’est pas déplacé le 9 octobre à Kairouan ou à la mosquée de la Zitouna pour célébrer le Mouled. De même, il n’a pas adressé ses vœux aux Tunisiens. Inexplicable silence radio à l’occasion de cette fête religieuse!
«Ce qui est étrange, c’est que Kaïs Saïed, contrairement à tous les anciens présidents de la Tunisie, ses rois et ses beys, n’a pas célébré la fête du Mouled comme tous les Tunisiens, les peuples du monde islamique. Il n’a pas été présent à la mosquée Zeitouna, ni à la mosquée Okba Ibn Nafaâ. Il n’a pas fait d’allocution, ni adressé de vœux». Ainsi, postait Rafik Abdessalem, gendre de Ghannouchi et ancien ministre des Affaires étrangères, sur son compte Facebook. Avant de conclure avec sa légèreté coutumière: «Kaïs Saïed serait-il d’une autre religion ou aurait-il d’autres appartenances mystérieuses qui ne reconnaissent pas le Mouled et les fêtes religieuses ?».
On parle de tout sauf de l’essentiel
Second exemple, lors d’un entretien, lundi 10 octobre, à Carthage, avec Mahmoud Elyes Hamza, ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche. En effet, le Président nous informe dans une vidéo publiée par la présidence, juste après le journal télévisé, à une heure de grande écoute, que «deux responsables, qui travaillent au sein du ministère de l’Agriculture, ont utilisé leur voiture de fonction pour assister à une réunion d’un parti politique dont je tairai le nom. Ceci est documenté. L’un d’eux est responsable des barrages et l’autre du bétail. C’est de la corruption !».
«Les voitures administratives sont la propriété du peuple tunisien et elles ne peuvent être utilisées pour les partis politiques! Ceux qui s’infiltrent ou tentent de s’infiltrer au sein de l’administration tunisienne n’ont pas leur place». Ainsi, martelait le président de la République.
Or, ces « faits divers », certes condamnables, méritent-ils que le chef de l’Etat en personne prononce un discours officiel? Alors qu’une mesure disciplinaire prise par le ministre de tutelle à leur encontre aurait amplement suffi? N’a-t-il pas prononcé un discours de trop?
D’autant plus qu’il ne s’agit pas dans cette « affaire » de voitures de service qui ne servent qu’à faire des déplacements professionnels. Mais bien de voitures de fonction mises à la disposition des hauts cadres pour des déplacements privés.
De plus, y a-t-il une loi qui incrimine un citoyen quand il assiste à la réunion d’un parti politique? Fût-ce celui du mouvement islamiste Ennahdha?
Le discours de trop de Kaïs Saïed?
De même, et alors qu’on s’attendait à ce que le chef de l’Etat évoque avec son ministre de l’Agriculture, qui se tortillait dans ce fauteuil tel un élève fautif, les problèmes quotidiens des Tunisiens. A savoir les pénuries à répétition des produits alimentaires de base, à l’instar du sucre, de la farine et de l’huile de base, la hausse vertigineuse de prix due à des problèmes structurels, l’anarchie des circuits de collecte et de distribution; sans parler des défis majeurs du stress hydrique.
Rien, absolument rien n’a filtré de ces problèmes qui empoisonnent le quotidien de nos concitoyens. L’entretien s’étant focalisé sur l’utilisation frauduleuse des voitures de service. Lesquelles de surcroît appartiennent au ministère des Domaines de l’Etat. Le discours de trop!
Pour une parole rare, précieuse et pertinente
Enfin, il est utile de rappeler qu’à défaut d’une communication rigoureuse, efficace et dûment planifiée par des professionnels de ce domaine si sensible, la parole présidentielle se vide de sa quintessence. A savoir: celle d’éclairer l’opinion publique, dans un langage accessible, sur les préoccupations majeures des Tunisiens; les moyens pour y remédier; et une vision claire pour l’avenir.
C’est ce qu’on appelle communément la politique de l’Etat.