Décidément, après les pénuries des produits alimentaires de base, tels que le sucre, la farine et l’huile végétale; voilà que le carburant s’invite à son tour à la liste de nos frustrations quotidiennes. Est-il écrit quelque part au ciel que le citoyen doive boire le calice jusqu’à la lie?
Faut-il toucher le fond des abysses pour pouvoir enfin sortir la tête de l’eau ? Car, à voir depuis quelques jours nos pauvres concitoyens sillonner les stations de service à la recherche de la matière rare. A contempler les files d’attente monstres devant les stations-service provoquant des bouchons, de longues heures d’attente en guettant l’arrivée des camions citernes. A regarder les interminables queues de véhicules presque à sec de carburants, des automobilistes à fleur de peau acculés à stationner la nuit à proximité des stations de service dans l’espoir d’être les premiers servis. L’on se demande parfois, le cœur serré, si notre Tunisie ne se dirige pas inexorablement vers le scénario grec, ou pire le Libanais. Et le plus frustrant, c’est qu’en absence d’information fiable sur les causes de cette pénurie qui frappe et paralyse notamment le Grand Tunis, chacun y va de sa version.
Après un mutisme de près de 48 heures et sous la pression des citoyens lambda qui oscillent entre exaspération extrême et totale incompréhension, un membre du gouvernement Bouden a enfin daigné éclairer nos lanternes sur les perturbations d’approvisionnement, notamment pour l’essence sans plomb.
Explications embarrassées
En effet, la ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, Neila Nouira Gonji a d’abord commencé par nier la pénurie, mettant la responsabilité sur le dos de la frénésie des citoyens ainsi que sur crise mondiale dans le domaine des hydrocarbures, laquelle touche plusieurs capitales européennes.
Minimisant l’étendue de ces perturbations d’approvisionnement, la ministre a indiqué, lors de son intervention, mardi 11 octobre 2022 au Journal de 20H sur Watania 1, qu’à part quatre gouvernorats du Grand Tunis et certaines régions du Nord, Hammamet, Nabeul et Bizerte, touchés par la pénurie d’essence, en particulier celle du « sans plomb », ce phénomène reste « négligeable ». L’approvisionnement « retrouvera son rythme habituel », a-t-elle tenté de nous rassurer.
D’ailleurs, a-t-elle indiqué, 5 000 mètres cube de carburant ont été fournis aux stations essence en fin de semaine dernière. Toutefois, un stock de 550 mètres cube couvrant entre trois et cinq jours de consommation dans les stations de service Agil « a été épuisé en seulement six heures ».
Revenant sur le stock stratégique, la ministre a indiqué que chaque navire pétrolier assure les besoins en carburant de quinze jours, et que la Tunisie possède des contrats à long terme avec ses fournisseurs.
La Tunisie, un client peu fiable
Toutefois, elle a avoué que les problèmes des finances publiques « ont rendu les choses difficiles, dans la mesure où les fournisseurs n’accordent les marchandises à la Tunisie qu’après leur paiement, notant au passage que la Tunisie « est en mesure d’honorer ses engagements et ses besoins ». D’ailleurs, a-t-elle assuré, plusieurs cargaisons de carburant seraient en route vers la Tunisie. Une d’entre elles aurait déjà accosté lundi 11 octobre. Les autres arriveraient le 17 et 28 du mois courant.
Nous voilà rassurés. N’est-ce pas un aveu que, suite la dégradation de la note souveraine de la Tunisie, le gouvernement n’avait pas les moyens de payer au préalable nos fournisseurs qui refusent désormais de décharger le carburant sans le payement préalable cash et en espèces sonnantes et trébuchantes ?
Le citoyen pointé du doigt
D’autre part, pointant du doigt « la frénésie des consommateurs ayant conduit à l’épuisement des stocks injectés dans les stations-service au bout de quelques heures », Mme Nouira Gongi a invité les citoyens à « rationaliser » leur consommation. Et ce afin de permettre à tout le monde de s’approvisionner. « Inutile de faire le plein d’essence si on a juste besoin de vingt litres. Je le dis gentiment, il faut faire preuve de solidarité ».
Tout à fait d’accord Mme la ministre pour cet élan de solidarité citoyenne. Mais, allez convaincre un chauffeur de taxi qui vit au jour le jour. Ou un père de famille qui doit amener ses enfants à l’école, pas forcement à proximité de son domicile; puis se rendre à son travail, peut être au bout de la ville, de se contenter de 20 litres d’essence. D’autant plus qu’il n’a aucune garantie que les stations de service ne lui réservent demain une mauvaise surprise!