L’Instance nationale d’accès à l’information (INAI), l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et la Banque mondiale (BM) viennent de commémorer à Tunis, le 4 octobre, la Journée internationale de l’accès universel à l’information avec l’organisation d’un colloque sous le thème « Le droit d’accès à l’information pour une meilleure e-Gouvernance et un climat d’investissement transparent et durable ». Les trois partenaires ont appelé à l’urgence de lancer un débat et de sensibiliser les citoyens au droit d’accès à l’information.
« Il est important et urgent de lancer un débat sur les moyens de relance économique du pays, à commencer par l’amélioration du climat de l’investissement tout en tirant bénéfice de la gouvernance, de la transparence et de l’accès à l’information. La célébration de la Journée internationale de l’accès universel à l’information coïncide avec un débat. La communication autour du droit d’accès à l’information tourne autour de la redevabilité et de la transparence. Le sujet n’en est qu’à ses prémices, mais mieux vaut tard que jamais ! », atteste Hédi Mechri, journaliste, DG de L’Economiste Maghrébin, à l’ouverture du colloque.
Il appelle à une grande lucidité alors que le concept de gouvernance électronique a été mis en avant depuis 2005 à l’occasion du Somment mondial de la société de l’information accueilli par la Tunisie : « Nous avons relayé dans notre magazine des interviews de responsables tunisiens qui affirmaient que la Tunisie allait résorber sont retard en matière de faille numérique ! Depuis, on se comporte comme si la transparence allait limiter notre zone de confort, et si on n’élucide pas les points de friction du passé on va en rester là. Car, avant de foncer dans l’Intelligence Artificielle, vérifions d’abord où nous en sommes de l’intelligence humaine ! »
Dresser un état des lieux
Les interventions vont faire le tour de la question ainsi mise en perspective par Mechri. Adnène Lassoued, président de l’Instance d’Accès à l’Information (INAI), rend d’abord hommage à tous ceux qui ont soutenu les efforts de l’Instance de consacrer dans la réalité la loi du droit d’accès à l’information, à commencer par le président Saied. Il rappelle les 3 dynamos de ce cheminement : promotion de la démocratie participative, TIC pour rapprocher et faciliter, mondialisation qui augmente la conscience des personnes de la situation des autres : « Cette Journée internationale sous le signe de l’IA, e-Gouv et accès à l’info pave la voie pour atteindre le but de développement continu de l’année 2030. J’ai représenté la Tunisie
Les 28 et 29 septembre à Tashkent et, avec l’UNESCO et la Banque mondiale, nous avons tenu à ce que le thème soit en accord avec l’actualité tunisienne qui est économique, en droite-ligne de la TICAD8 qui a insisté sur les partenariats triangulaires. Le lien entre l’accès à l’information, le climat de l’investissement, la transparence ont été évoqués de manière répétitive lors de la TICAD. Nous avons capté le message. »
Dr Ming-Kuok Lim, UNESCO, va dans le même sens en soulignant que l’accès à l’info joue un rôle essentiel dans les sociétés démocratiques, renforce la compréhension interculturelle, lutte contre l’extrémisme, améliore la transparence. C’est en reconnaissance à cette importance que l’ONU a décrété la Journée internationale d’accès à l‘information et en a chargé l’UNESCO. Il regrette que si 150 millions d’internautes sont en Afrique, il reste un écart genre très important, et l’accès Internet devrait être plus abordable.
Moataz Chaouaci, Banque mondiale, assure que l’appui de la BM est acquis pour l’accès à l’info sur 2 niveaux : pour appuyer sa mise en œuvre dans les strates concernées de loi d’accès à l’info en 2016 e Tunisie, et l’appui du processus d’intégration de l’information pour permettre la réutilisation de l’information publique pour créer des valeurs ajoutées et résoudre des problèmes internes à l’administration.
Elodie Cantier-Aristide, HCDH, estime que le droit d’accès à l’info s’applique quelle que soit l’info et la manière de la stocker ; avec des restrictions pour la sauvegarde de la sécurité, la santé publique… Selon elle, la bonne gouvernance est à ce point capitale qu’elle promeut les droits de l’homme, une autonomie aux femmes pour défendre leurs droits, créer des sociétés du savoir enclines au développement durable ; là où la numérisation peut combler le fossé numérique : « En Tunisie, il reste les catégories vulnérables qui revendiquent cet accès ; et il faut déployer plus d’efforts pour soutenir l’info comme un bien public universel et développer une culture institutionnelle. »
Nizar Yaïche, ancien ministre des Finances, propose 4 ingrédients pour relancer l’investissement via l’information : transparence, confiance dans les chiffres et le processus démocratique, droits de l’Homme, accès technologique et numérique. Il insiste sur le phénomène de résistance en interne à cause de 3 idées reçues sur le partage de l’info comme perte de pouvoir, la prise de risque personnelle ou de l’administration, la sous-estimation de l’importance de l’information dans la création de richesse : « L’arrivée imminente du Métaverse (monde parallèle où on fait des échanges) combiné à l’IA permet de libérer l’info, dépasser le dilemme entre l’étendue et la profondeur de l’analyse. Ceci alors que l’on ne peut faire face à d’innombrables challenges (pandémies, l’eau, changement climatique…) que via des partages universels de l’information. »
L’accès à l’information, garant de l’implémentation de l’e-Gouvernance et catalyseur de l’investissement
Egalement animé par Hédi Mechri, le premier panel a mis en lumière le caractère central de l’info. Mohamed Ouertani, DG de l’Instance tunisienne de l’investissement (TIA), soutient que la loi 2016 d’accès à l’information n’est rien de moins qu’un pilier du développement global et de la réussite du processus d’investissement : « Le guide de l’investisseur proposé à l’occasion de l’expo Tunis à Dubaï en 4 axes : climat de l’investissement, étapes de l’investissement, opportunités de l’investissement, vivre en Tunisie ; et nous avons lancé la copie japonaise du manuel. La TIA travaille ainsi aux services de proximité, avec les meilleures technologies pour que nous puissions aider les investisseurs. Nous avons de avantages comparatifs mais il faut plus de transparence, l’usage du digital, plus de souplesse et facilité dans les services. »
Adnène Lessoued, DG INS, rappelle que la statistique officielle est un outil indispensable à la bonne gouvernance mais convient que la politique n’est jamais très loin des statistiques : « On parle désormais de statistiques au service de l’Etat et des citoyens, un bien public qui contribue à la confiance. Il faut qu’il y ait des préalables : l’indépendance, l’évaluation par les citoyens, la confiance… HG Wells disait qu’un jour viendra où l’esprit statistique sera aussi important que le fait de lire et d’écrire. »
Chokri Hammouda, DG Instance de l’évaluation et accréditation de la Santé, NEAS, montre que les statistiques appliquées à la santé ont donné la preuve que l’échange doit se faire dans son cadre pour avoir la confiance du public aux niveaux macro, méso, et micro économique : « Notre plate-forme d’accréditation permet un échange transparent et sécurisé et renforce la reconnaissance internationale de l’instance. Cette accréditation permet la reconnaissance internationale des cliniques prouvées et facilité l’exportation de leurs services auprès de patients étrangers. »
Olfa Souli, DG réformes et prospectives administratives, souligne que l’article 33 de la nouvelle constitution 2022 où l’Etat garantit le droit d’accès à l’info est un pilier vers la transparence et un point de départ du démantèlement de la corruption : « L’info est un acquis national pour les opportunités d’en faire usage dans le but de créer la richesse, surtout pour les jeunes et les start-ups. Il y a des défis économiques pour la réutilisation des infos et développer la créativité et la Tunisie il doit compléter le cadre pour en faire une matière première dynamisante de l’économie. Une loi est encours d’élaboration avec la BM et la société civile, les institutions nationales… »
Ahmed Ben Taârit, représentant i-Watch, estime que l’accès à l’info est désormais une nécessité ; il facilite le travail de l’administration, en plus de faire participer les citoyens à la transparence qui n’est pas un but mais un outil. Il faut encore du travail dans l’application et la culture de l’accès à l’info car il y a un héritage négatif dans l’administration. »
L’accès à l’information et l’e-Gouvernance, outils de renforcement et de pérennité de l’investissement
Le deuxième panel examine l’accès à l’info du point de vue opérationnel. Me Aslan Ben Rejeb, CONECT, cite plusieurs exemples où des associations qui ont déposé plainte pour non accès à l’info ont obtenu gain de cause : « La bonne gouvernance est l’idéal à atteindre ; pour l’investisseur elle constitue une toile de fond au climat des affaires. L’impact des textes est très faible (faible diffusion de la culture, archivage inefficace, digitalisation à deux vitesses, manque de ressources). »
Kamel Ayari, juge, avocat général, avertit que la diffusion de l’info est un outil capital pour l’investisseur, comme elle est un outil de la bonne gouvernance : « Il y a des problèmes en Tunisie : la disponibilité de l’info (au registre des entreprises 428 000 sociétés ne sont pas inscrites et ne déposent pas leurs états financiers malgré les sanctions prévues) ; la cartographie de l’investissement ; la cartographie foncière ; la crédibilité de l’info, les interprétations divergentes, parfois l’absence pure et simple d’infos… Ce ne sont pas les textes qui manquent mais ils sont inefficaces et manquent de clarté. »
Salma Khaled, avocate, pense que l’info n’est pas une simple donnée mais plutôt une marchandise, un pouvoir, une arme et les Etats sont appelés à prendre en considération la gestion des données et assurer le droit d’y accéder : « Une info doit être de qualité (fiable, certaine, à jour), parvenir en temps opportun, d’accès libre et à tout moment pour tout le monde (mis à part les restrictions). En pratique, de quel accès à l’info parle-t-on avec un taux d’analphabétisme de 27%. Généraliser l’Internet ? Plutôt créer des centres d’information car l’analphabète doit être aidé. Pour concrétiser ce droit, il faut y mettre les moyens (les centres, les chargés de l’accès à l’info), maintenir le rôle de l’INAI avec un budget approprié, allouer des budgets aux organismes pour les archivages électroniques… Il est essentiel que le gouvernement tunisien mette ce sujet dans la liste des objectifs à réaliser. »
Pour Chérif el Khadi, Acces Now Tunisie, les droits numériques sont le pilier investissement et e-Gov et l’investissement dans la numérisation doit se faire sur la base de l’autonomie : « La loi doit garantir toutes les dimensions de l’accès à l’info (fuites, piratage, les identités qui se vendent…) vu l’aspect très délicat de la protection des données surtout pour les investisseurs. La Data est le nouveau pétrole des nations.
Un débat sur les chargés d’accès à l’information
Le débat lancé lors de la rencontre a débuté sur des questions de fond à propos de la signification de l’information, son utilité, sa sélection, sa sécurité, le principe de confiance et de transparence, l’enjeu d’utiliser les infos pour construire de nouveaux indicateurs, les défis de l’Open Data, la coordination entre administrations, la valeur ajoutée des masses d’information… Mais il a vite viré vers les problèmes que rencontre l’INAI dans la Com avec les ministères, la possibilité de réutilisation des données et la création de richesse, le cadre réglementaire, les 5700 dossier qu’elle doit traiter et le monitoring de 842 structures publiques, les moyens matériels et humains, la rareté des formateurs…
Des interventions assez passionnées se sont spécialement concentrées sur la situation des chargés de l’accès à l’info au sein des instances publiques alors qu’ils ne sont pas encore reconnus légalement malgré la foule de responsabilités qui leur incombe tout au long de l’année (le statut des chargés de l’accès à l’info n’est pas du ressort de l’INAI). Ils dénoncent le fait qu’ils sont aujourd’hui au four et au moulin avec un volume du travail énorme. Ils dénoncent les ‘harcèlements’ à cause de leur position de canal entre demandeurs et sources de l‘info, les frictions qui émergent à la faveur des rapports de contrôle, le déni de leur impartialité, le manque de soutien alors qu’ils nous travaillent de puis 2012 sans statut et sans encouragement.