De toutes les guerres que nous avons livrées depuis la nuit des temps contre les envahisseurs, l’analphabétisme, la pauvreté et le sous-développement, celle que l’on se prépare à mener est sans doute la plus difficile et peut-être même la plus dévastatrice. C’est de notre survie qu’il s’agit, après que le pays se retrouve quasiment en situation de mort cérébrale. Il n’a plus son destin en main pour avoir tourné le dos à l’effort, manqué à ce point de vision et dilapidé son capital confiance ici et ailleurs. Et ses chances de rebond.
Ultime recours, ultime issue de secours et voie de sortie d’une crise globale qui ne finit pas d’empirer : tel est le sens de la récente décision du FMI, en attendant sa ratification de l’accord par son Conseil d’administration.
Cet accord, même si rien n’est définitivement garanti, est celui de la dernière chance, pour ne pas sombrer corps et âme dans la déchéance économique et sociale, si le gouvernement, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, venait à se soustraire à ses engagements.
« C’est de notre survie qu’il s’agit, après que le pays se retrouve quasiment en situation de mort cérébrale »
Pour autant, l’accord vaut moins par ce qu’il apporte – 1,9 milliard de dollars étalés sur 4 ans – que par ce qu’il suggère et promeut en raison des engagements pris par les dirigeants nationaux.
Dos au mur, nous n’avons d’autres alternatives que d’avancer, de changer ou de périr. Nous ne pouvons faire l’économie d’une nouvelle guerre pour vaincre nos résistances, et mettre fin au statu quo avec son cortège de victimes qui peuplent villes et campagnes. Le gouvernement, même s’il n’a pas dévoilé les modalités de son programme de réformes, a pris des engagements qu’aucun autre gouvernement n’a osé entreprendre.
Il prend d’énormes risques en choisissant le mouvement plutôt que l’inaction : gel ou presque des salaires de la Fonction publique, « restructuration privatisation » des entreprises, dont rien ne justifie le maintien dans le giron de l’Etat, levée progressive des subventions à la consommation. La compensation, plutôt qu’entretenir les distorsions des prix, aura un effet réparateur des bas revenus.
« Dos au mur, nous n’avons d’autres alternatives que d’avancer, de changer ou de périr »
Ultime touche de la prochaine feuille de route pour donner plus de chair, de crédit et de cohérence à sa volonté réformatrice, le gouvernement se dit déterminé à aller chercher l’argent là où il est dissimulé, après qu’il a désespéré les contribuables victimes de pratiques fiscales confiscatoires.
Il y a comme un air de vouloir élargir l’assiette fiscale, en intégrant les forfaitaires, l’économie informelle et les évadés fiscaux. Fonction publique pléthorique et budgétivore, entreprises d’Etat en pleine dérive et déconfiture, CGC insoutenable à force de laxisme et d’atonie de croissance, fiscalité rédhibitoire… Quatre forteresses sur lesquelles se sont fracassées toutes les velléités de réformes, pourtant d’une impérieuse nécessité.
Autant d’obstacles qui ont inhibé créativité et liberté d’entreprendre. A croire que ces institutions ont pour vocation de servir de levier et de vecteur de développement et d’émergence rapide. Ces chasses gardées s’opposent au changement, incarnent l’immobilisme et cultivent rentes de situation et privilèges. Ce qui a eu pour effet de condamner le pays à la régression économique et sociale.
Et à la faillite financière, en dépit de l’ampleur des prélèvements obligatoires pour entretenir ces castes qui se nourrissent sur la bête sans rien apporter en contrepartie. Dans ce système fermé, l’étendue et la profondeur de la ligne de front limitent l’espace budgétaire et les marges de manœuvre du gouvernement en place.
La moindre réforme structurelle est perçue comme une déclaration de guerre. Comment, dans ces conditions, briser le mur des corporatismes et des droits acquis sans déclencher l’apocalypse ?
« Il y a comme un air de vouloir élargir l’assiette fiscale, en intégrant les forfaitaires, l’économie informelle et les évadés fiscaux »
Il faut, à l’évidence, de vrais chefs de guerre et de brillants stratèges à la manœuvre pour adopter un régime minceur et assainir ce qui devrait l’être, sans provoquer pour autant hostilité générale allant jusqu’à l’affrontement. La guerre dont il s’agit est plus d’ordre psychologique que conventionnel, avec pour seul argument l’arme de la persuasion sur le mode d’une pédagogie de crise. Dans ce combat pour la vie, il faut rassembler le plus large possible. Mieux vaut le dialogue qu’une guerre de tranchées.
Les réformes structurelles font des victimes pour pouvoir libérer les ressorts de l’investissement et de la croissance. Dans l’immédiat, elles ne sont pas heureuses pour les tenants du monde d’avant.
Comment les réconcilier avec ceux qui ont pris ou qui vont prendre place dans le monde qui arrive ?
A charge pour l’Etat de faciliter leur réinsertion, au moyen d’indemnisations, de transferts sociaux, de reconversions… Passage obligé et retour aux sources de l’État-providence, dont on mesure la capacité de conduire le changement des dirigeants en charge des réformes. Il ne peut y avoir de vraies réformes sans une adhésion collective pour éviter casse sociale et désordre en tout genre.
Cette guerre, nous devons la mener ensemble pour combattre le chômage, résorber la fracture sociale et régionale, éradiquer l’inflation, l’endettement, le déséquilibre extérieur, enrayer le déclin économique et le naufrage financier. Tous unis dans un même combat pour le salut de la nation. Qu’est-ce à dire, sinon que la réalité est fort contrastée ? Il faut changer de paradigme et sans doute de discours et de méthode.
« Dans ce combat pour la vie, il faut rassembler le plus large possible. Mieux vaut le dialogue qu’une guerre de tranchées »
L’heure doit être à l’apaisement. On attend du président de la République qu’il rassemble, fédère et mobilise, non qu’il clive, divise et stigmatise. A la guerre comme à la guerre, il faut serrer les rangs et faire assaut de solidarité. Le pays a besoin d’unité, d’apaisement, de concorde, de sérénité et d’un large consensus. Seul un dialogue franc, sincère, responsable et inclusif peut nous éviter le pire qui est à craindre -accord ou sans accord du FMI-.
Nous avons l’obligation d’enclencher un cercle vertueux de création d’entreprises, d’emplois, de richesses, de revenus décents pour une émergence rapide. Les bailleurs de fonds – FMI en tête – n’en attendent pas moins. Qui plus que le président de la République a vocation de mener cette campagne pacificatrice ?
Pour l’heure, il ne semble pas s’inscrire dans cette démarche ni adopter une telle posture. Rien dans la partition qu’il affectionne ne nous le fait penser. A moins de nous faire la divine surprise d’endosser l’habit du garant de l’unité nationale. Le boulet de la réalité serait passé par là.