Le suspense a atteint son pic en ce qui concerne la Loi de Finances 2023. Elle devrait traduire les principaux engagements de l’Etat tunisien envers le FMI. Certes, les techniciens du Ministère des Finances sont bien conscients que la fenêtre offerte cette année n’est pas à rater.
Les prochains textes devront passer devant les représentants du peuple des deux chambres dont personne ne peut prévoir la qualité des membres. S’il y a des mesures impopulaires ou difficiles, c’est donc le moment où jamais, à l’instar de l’impôt sur la fortune (ISF).
Les recettes fiscales record des six premiers mois 2022 (17,4 milliards de dinars) sont la principale ressource pour un pays qui peine à arrondir ses fins de mois. Dans une économie qui avance à pas de tortue, le seul moyen pour doper ses revenus propres est d’élargir davantage la base imposable. D’où l’idée de l’Impôt sur la fortune qui permettra d’atteindre plusieurs objectifs d’un seul coup.
Idée pratique
Il permettra en effet de diversifier les ressources de l’impôt. La recette fiscale est dominée par les impôts sur les revenus. Leur contribution s’élevant à 29,8 % fin juin 2022.
D’ailleurs, l’IRPP pèse à lui seul 3,6 milliards de dinars. L’impôt sur les sociétés ne générant quant à lui que 1,8 milliard de dinars. Le montant budgétisé pour l’ensemble de l’année devrait atteindre 4,1 milliards de dinars.
En dépit de ces progrès, les impôts directs représentaient seulement 40,6 % des recettes fiscales. Ce sont les impôts indirects qui dominent encore les ressources de l’Etat. Et notamment la TVA, avec 4,9 milliards de dinars en six mois.
Toutes ces sommes ne reflètent pas l’unique activité économique de 2021. Elles englobent également une partie de l’impôt lié aux exercices antérieurs. Et ce, dans le cadre de l’effort de recouvrement et à l’amnistie fiscale de cette année.
L’Impôt sur la fortune peut donc s’envisager comme un moyen d’équité fiscale. Ceux qui accumulent des richesses doivent payer plus que les autres contribuables. Cela a du sens. D’ailleurs, c’était l’un des axes de réflexion de Feu Slim Chaker lorsqu’il était ministre des Finances.
Politiquement, c’est un très bon coup politique. Car si cette mesure restera impopulaire parmi les spécialistes et les potentiels concernés, elle sera saluée par une majorité écrasante des Tunisiens. Enfin, elle gardera la pression fiscale réelle stable pour les entreprises.
Conditions de réussite
Néanmoins, ce genre de mesures est une arme à double tranchant. Bien qu’elle soit populaire, elle risque de ne pas plaire à une classe d’entrepreneurs, d’industriels et de familles qui constituent le noyau dur de l’économie tunisienne. Toutefois, l’Impôt sur la fortune peut être digéré s’il respecte certaines conditions.
Primo, il convient de préparer une base de données complète sur les détails des fortunes et leurs détenteurs. L’administration fiscale est l’une des plus digitalisées. Elle doit être capable de pouvoir générer suffisamment de data qui évite que certains puissent échapper alors qu’ils remplissent les critères d’éligibilité.
Secundo, il faut épargner certaines catégories d’actifs, comme l’héritage. Il ne doit pas viser la résidence principale, mais plutôt les biens immobiliers destinés à la location. Pour les véhicules, il convient de cibler uniquement les voitures de luxe à partir d’une certaine valeur.
Tertio, la préparation d’une grille d’évaluation correcte et claire pour les différents actifs s’impose. In fine, l’impôt sera appliqué sur la base d’une estimation de la valeur du bien.
Dans tous les cas, le seuil pour être éligible à l’impôt sur la fortune doit être suffisamment élevé pour que la classe moyenne ne soit pas sanctionnée. Idéalement, le taux appliqué est dégressif. Il est plafonné à 1 % pour ne pas pousser les contribuables à des sous-évaluations qui privent l’Etat d’autres taxes et encouragent les pratiques frauduleuses.
En parallèle, et pour mieux exploiter cet impôt, certains créneaux d’investissements et d’exonérations fiscales doivent être laissés possibles. Et ce, de sorte à orienter le cash dégagé vers des secteurs prioritaires. Imposer le capital, sous forme de liquidité ou de placements, serait une erreur. Il causera des retraits massifs.
Impôt déflationniste
L’impôt sur la fortune est censé donner de la profondeur au marché des actifs illiquides. Il y a une baisse considérable dans le nombre de transactions du secteur immobilier depuis des années.
Du moment que certains biens vont devenir une source de charges pour leurs propriétaires, ils seront mieux exploités de sortes à générer des revenus. Ce qui va doper l’offre et faire, théoriquement, baisser les prix. Cependant, il n’est pas exclu que cela rende le loyer encore plus cher. Car le fonctionnement à la tunisienne est souvent contre nature.
Au bout de quelques années, avec la récurrence des recettes dégagées et la maîtrise des charges publiques, il serait possible de baisser certaines autres taxes. C’est de cette façon qu’on migre vers un système fiscal équitable.
Dans tous les cas de figure, l’impôt sur la fortune à lui seul ne peut pas être considéré comme une réforme, mais l’un des mécanismes de redistribution de richesses.