Le 10 novembre 2022, Rached Ghannouchi, chef du mouvement islamiste d’Ennahdha, est interrogé par un juge d’instruction. Cette fois-ci au Tribunal de première instance de Sousse dans le cadre de l’affaire «Instalingo», après l’avoir été en septembre dernier dans l’affaire dite des «réseaux d’envoi des jeunes Tunisiens aux foyers de tension».
Et encore une fois, le patron d’Ennahdha est maintenu en état de liberté alors qu’il comparaissait en tant que suspect pour des chefs d’inculpation pouvant le mener, lui et les autres personnes impliquées, jusqu’à la peine capitale !
Diversion et faux suspense
Mais encore une fois, après un interrogatoire marathon et un faux suspense, tout le monde est rentré chez lui « sain et sauf ». Alors encore une fois une opération de diversion dans le sens où les observateurs sont unanimes à dire que Ghannouchi est « inarrêtable » ?
En tous les cas, le chef du mouvement islamise dépasse l’épreuve et en ressort plus fort que jamais avec des déclarations incendiaires mettant en cause le Président de la République et ses partisans.
D’ailleurs, la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, évoque des mises en scène minutieusement préparées par le pouvoir de Kaïs Saïed pour se redonner de la popularité tout en permettant à Ennahdha de survivre…
Ce nouvel épisode politico-judiciaire intervient au moment où la Tunisie vit, théoriquement, en pleine période électorale en vue d’élire une nouvelle Assemblée des représentants du peuple (Parlement).
Il s’agirait de la première après la dissolution de l’ancienne ARP et l’adoption par référendum d’une nouvelle Constitution élaborée unilatéralement et exclusivement par Kaïs Saïed après avoir jeté aux oubliettes celle élaborée par Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh, deux éminents juristes constitutionnalistes.
Elections législatives : un non-événement
Ces législatives se déroulent selon un nouveau Code électoral mis au point, au pied levé, par le seul Kaïs Saïed (décidément). Ce nouveau code est miné par de nombreuses lacunes et autres défaillances que le chef de l’Etat, lui-même, avait reconnues et promis d’amender sans oser le faire.
Du coup, le peuple tunisien est appelé à élire un nouveau Parlement dont sept circonscriptions n’ont eu aucun candidat. Dix autres n’ont qu’un seul candidat en lice. Autrement dit, nous aurons un Parlement amputé de sept députés et doté, d’office et avant même le scrutin, de dix députés élus sans concourir !
Mais que va-t-on faire pour les sept circonscriptions sans candidats ? Trop facile, riposte l’Instance supérieure indépendante des délections (ISIE). «Lors de sa première plénière, le nouveau parlement devrait constater les postes vacants et convoquer de nouvelles élections partielles pour les pourvoir». Mais les vacations en question ne sont prévues par aucun cas de figure
Le courant ne passe pas entre l’ISIE et la HAICA
Qu’à cela ne tienne. L’ISIE trouvera bien une solution comme elle l’a fait pour les prolongations des délais de dépôt de candidatures ou pour les dispositions de parrainages. L’essentiel est de mener à bon port le scrutin même au prix de violation des lois et du principe de l’égalité des chances. C’est à croire que l’instance est chargée de concrétiser, vaille que vaille, le projet d’édification par la base, si cher à Kaïs Saïed.
Il faut dire qu’étant désignés par décrets, les cinq membres de l’ISIE (au lieu de sept) sont dans la logique de l’obligation de résultats, quitte à n’obéir à aucune loi ni logique.
Dernier cheveu sur la soupe, on assiste à un échange d’accusations entre l’ISIE et la HAICA. En effet, le torchon brûle-t-il entre les deux instances ? Certains parlent carrément d’une rupture… puisque, selon les dernières données, il n’y a aucun contact entre elles, à un mois ou presque des législatives du 17 décembre prochain.
En tous les cas, le gouvernement semble avoir une dent contre la HAICA. Et la signature entre l’ISIE et la HAICA de la convention commune sur la couverture médiatique de la campagne électorale se fait toujours attendre.
L’attitude gouvernementale serait due aux positions de la HAICA sur le référendum du 25 juillet quand elle a exigé la participation des boycotteurs à la campagne référendaire, précise, en substance, Hichem Senoussi, membre le plus médiatisé de cette instance.
Du coup, toutes les élites du pays s’accordent à qualifier ces élections de non-événement et sans le moindre intérêt. Ce qui confère, selon les observateurs, «zéro» importance à la future assemblée, et ce, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’échelle internationale.
Signera… signera pas l’accord avec le FMI ?
Entre-temps, le peuple subit les pires difficultés pour joindre les deux bouts à cause de la rareté des produits de consommation doublée de pénuries tournantes des matières de base au quotidien. Il est appelé, selon des fuites savamment dosées, à vivre de longs moments d’austérité.
Or, si le gouvernement semble disposé à accepter les désidératas du Fonds monétaire international (FMI), le chef de l’Etat continue à tenir un langage populiste en persistant à dire que l’approche sociale ne sera jamais abandonnée, comme il vient de le confirmer à l’issue de l’audience accordée à la cheffe du gouvernement, Najla Bouden.
Ce discours risque de tout faire tomber à l’eau concernant l’accord à conclure avec le FMI. Surtout que, cette fois-ci, le Fonds exigerait la signature du président de la République du document portant sur l’accord tant attendu. C’est dire combien les observateurs sont curieux de voir si Kaïs Saïed va signer ou non le «précieux accord» !…
D’autre part, à une semaine de la tenue du sommet de la francophonie à Djerba, la situation des droits de l’Homme est en train de prendre un sérieux coup en Tunisie.
L’éternel clivage à cause des droits de l’Homme
En effet, notre pays aurait reçu des admonestations de la part du Conseil des droits de l’Homme, réuni récemment à Genève où les opposants se sont ligués contre le chef de l’Etat pour en dénoncer les pratiques négatives à propos du respect des droits de l’Homme.
Et dire que le gouvernement a trouvé le moyen de ne pas se présenter à ladite réunion, se contentant d’une tirade prononcée par Najla Bouden en mode visio !
En outre, la visite du commissaire européen à la Justice, ce vendredi 11 novembre à Tunis, est-elle en rapport avec cette situation ?
En effet, le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, se rend, pour la première fois, à Tunis, vendredi 11 novembre, selon un communiqué publié par la partie européenne jeudi 10 novembre.
Au programme de sa visite, on annonce de multiples rencontres. Outre le président de la République, M. Reynders s’entretiendra avec les ministres de la Justice Leila Jaffel, celui de l’Intérieur Taoufik Charfeddine et celui des Affaires étrangères, de l’Immigration et des Tunisiens à l’étranger Othman Jarandi.
Le commissaire européen à la Justice aura, également, des entretiens avec des représentants de diverses composantes de la société civile.
Impatience des soutiens déterminants
En tout état de cause, de nombreux chantiers sont ouverts en même temps. Kaïs Saïed, qui gouverne seul, saura-t-il s’en sortir ou finira-t-il par laisser des plumes? Irrémédiablement. Car la situation risque d’exploser avant qu’il ne réussisse à mettre en place les structures nécessaires à son projet. Surtout si l’on sait que les Tunisiens s’impatientent. Ceux qui le soutiennent, aussi. Surtout ceux dont on imagine le poids déterminant.
Tout ce beau monde ne peut, logiquement, attendre indéfiniment. La logique et la conjoncture ne permettent nullement une attente beaucoup plus longue. Les Tunisiens veulent des résultats ou, du moins, un échéancier clair et assez bref pour la réalisation de ces résultats…