Les grèves successives des enseignants contractuels en Tunisie (qui demandent leur titularisation, conformément à un accord signé en 2018) ne sont pas anecdotiques. Elles s’inscrivent dans un contexte de tension continue autour de cette institution censée être porteuse d’espoir pour chaque nouvelle génération.
Le système éducatif de la Tunisie a longtemps fait figure de modèle de réussite. Il symbolise aujourd’hui la crise systémique dans laquelle est plongé le pays. Même diplômée, la jeunesse tunisienne se trouve confrontée à deux phénomènes qui ont alimenté leur mobilisation, voire leur soulèvement à partir de 2011 : un chômage massif et une sous-qualification structurelle.
L’école a contribué à construire le pays
En Tunisie, l’école représente plus qu’un cadre d’apprentissage, plus qu’un service public et plus qu’une institution. C’est la clef de voûte du modèle de développement et de sa promesse d’ascension sociale.
L’école républicaine apparaît comme un projet politique dans lequel les élèves sont appelés à devenir des citoyens éclairés. Un projet symbolisé par le principe de la « démocratisation scolaire » fondée sur les principes de l’égal accès à une école gratuite et obligatoire.
Dès l’Indépendance de 1956, l’éducation en Tunisie est considérée comme un facteur de développement économique et humain (avec une part substantielle du budget général consacré à ce service public).
Ainsi, suivant une politique volontariste incarnée par Bourguiba, la scolarisation de masse est un but impérieux qui a justifié la scolarité obligatoire et gratuite pour les enfants de 6 à 16 ans.
Le système éducatif joue à plein son rôle dans l’instruction de la population et la lutte contre l’analphabétisme. Et ce, avec le taux le plus bas du Maghreb dès la fin des années 1980.
Dans le monde arabe et africain, et même vue d’Europe, la jeunesse tunisienne symbolise une jeunesse très éduquée. Or, derrière les discours officiels, aussi républicains soient-il, force est de constater la crise de ce modèle.
La dégradation du système scolaire
Le décrochage scolaire est une réalité massive en Tunisie : nombreux sont ceux qui abandonnent prématurément les bancs de l’école, sans qualification, ni diplôme. A partir du secondaire, trop d’élèves sortent du système scolaire. Les raisons tiennent aux inégalités individuelles, reflets des inégalités sociales et territoriales qui frappent le pays.
Source d’un espoir d’émancipation et d’un avenir meilleur, l’école est aussi un lieu de discrimination. Comme le montrent une série d’études et de rapports officiels, notre système scolaire s’est progressivement transformé en une machine de reproduction et d’aggravation des inégalités, qui contribue au non-renouvellement de nos élites.
L’origine sociale et territoriale pèse beaucoup trop sur les résultats scolaires. Dès lors, on est en droit de s’interroger sur la réalité du discours méritocratique.
Que peut la volonté des enfants et de leurs parents face au poids des déterminismes sociaux et territoriaux, face aux discriminations de diverses natures ? La méritocratie n’est-elle qu’une pure fiction destinée à masquer la réalité d’un système scolaire fondamentalement inégalitaire ?
Le décrochage scolaire est une réalité massive en Tunisie: nombreux sont ceux qui abandonnent prématurément les bancs de l’école, sans qualification, ni diplôme
Une jeunesse désœuvrée
La « jeunesse urbaine », aisée ou désœuvrée, diplômée ou non, a joué un rôle de catalyseur dans le soulèvement de 2011. Cette jeunesse est le visage de la société tunisienne contemporaine : bien que le pays soit entré dans la transition démographique, sa population reste très jeune, de plus en plus diplômée. Elle est confrontée à un chômage et à une sous-qualification structurels.
Cette jeunesse aux conditions variées est aussi unie par un profond sentiment de frustration. Les contradictions et tensions sociales et sociétales qui traversent les sociétés arabes l’affectent au premier chef.
La « jeunesse urbaine », aisée ou désœuvrée, diplômée ou non, a joué un rôle de catalyseur dans le soulèvement de 2011
Les blocages et l’absence de perspectives dans ce monde globalisé contrastent avec l’évolution de ces sociétés de consommation et de communication.
Cette jeunesse diplômée est frappée de plein fouet par un chômage de masse. C’est la conséquence de l’inadaptation quantitative et qualitative du marché du travail national.
Une situation sans espoir qui nourrit un phénomène migratoire, au péril de la vie de ce qui est censé incarner les forces vives de la nation…