La finalité de la finance durable est de permettre aux entreprises, quelle que soit leur forme juridique publique ou privée, de se doter d’une raison d’être intégrant la prise en compte des impacts sociaux, sociétaux et environnementaux de leurs activités. C’est une conciliation permanente pour atteindre la performance économique recherchée, dans le respect de l’intérêt général.
Cette équation évidente mais à plusieurs paramètres nécessite, à mon avis, une démarche collective, très bien ficelée par des textes et des échéances clairement définies. On ne réinvente pas la roue. En 2015, l’Accord de Paris et le programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations unies avec ses 17 objectifs de développement durable (ODD) ont constitué une étape déterminante pour le développement durable dans le monde.
Poursuivant cet objectif, après avoir créé, en 2016, un Groupe d’experts européens de haut niveau sur la finance durable, la Commission européenne a adopté, en mars 2018, son premier plan d’action pour la finance durable, construit autour de trois grands axes et dix actions.
C’est sur la base du plan d’action 2018 que le législateur s’est engagé avec un rythme soutenu dans la construction d’un cadre réglementaire en matière de finance durable, axé sur 3 éléments constitutifs, à savoir : la taxonomie de l’UE, la transparence et les outils.
En 2022, l’Europe est la première région émettrice d’obligations vertes et durables, avec un boom mondial cette année pour un nouveau record d’émissions, qui devrait être franchi en 2022, continuant ainsi la tendance haussière de 2021 qui a déjà franchi le seuil des 1 000 milliards de dollars dans le monde l’an dernier. Si l’Europe est un leader en matière d’émission d’obligations vertes, plusieurs marchés émergents ont également fait des progrès significatifs sur ce front.
Par exemple, en avril, un promoteur du Golfe (secteur touristique) a émis des obligations vertes de 3,8 milliards de dollars. Les fonds serviront à construire des hôtels alimentés par des énergies renouvelables. Dans le même temps, signe du potentiel écologique de la finance islamique, l’Indonésie a levé en juin un Sukuk souverain de 3 milliards de dollars, qui contribuera à financer des projets de développement durable.
Ces derniers chiffres traduisent l’évolution évidente de la finance verte, qui de plus en plus, joue un rôle précieux dans la transition vers une économie moins carbonée. Elle s’impose aujourd’hui comme un levier fondamental dans la réorientation de notre stratégie à plusieurs niveaux: Etat, organismes publics, banques, fonds d’investissements, entreprises, investisseurs, citoyens… Bien qu’ils soient globalement bien accueillis en Tunisie, ces changements en faveur de la finance verte ont multiplié les appels à des règles plus strictes sur ce qui constitue la finance durable.
Alors que de nombreux pays, institutions et Bourses ont leurs propres règles, on craint que l’absence d’une directive tunisienne aboutisse à un échec de captation des investisseurs / fonds d’investissement/ institutions internationales… de plus en plus sensibles au caractère durable des investissements cibles. Pour remédier à cette situation, la Bourse de
Tunis a rejoint le 25 octobre 2015 l’Initiative Sustainable Stock Exchanges (SSEI), promue par les Nations unies.
Lancée en 2009, cette initiative fédère désormais plus de 90 Bourses dans le monde. Elle a pour mission d’étudier les moyens de collaboration entre les places financières, les investisseurs, les régulateurs et les entreprises, avec un double objectif : améliorer la transparence face aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et encourager le financement responsable à court et à long terme.
A cet effet, le Conseil du Marché Financier et la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis ont préparé un guide de Reporting ESG (environnemental, social et de gouvernance), persuadés que les activités des entreprises génèrent des conséquences non seulement économiques et financières, mais également extra-financières, et de façon corollaire, une place importante qu’occupent désormais les pratiques et le reporting ESG dans les décisions d’investissement.
Ce guide présente les principes de l’Initiative SSE (Sustainable Stock Exchanges) des Nations unies et explique les concepts de base et l’utilité de la démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et du Reporting ESG, ainsi que les recommandations pratiques de leur mise en œuvre tout en laissant aux entreprises une marge d’analyse suffisante pour tenir compte de leurs enjeux propres et de leurs spécificités.
Il propose, enfin, une matrice d’indicateurs pour une démarche progressive de Reporting extra-financier, portant sur les considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Il est basé sur le standard Global Reporting Initiative(GRI), les recommandations de la WFE (World Federation of Exchanges), les 17 objectifs de développement durable (ODD) adoptés aux Nations unies et sa déclinaison au niveau national dans le « Référentiel National de la Gouvernance » (RNG).
Enfin, ce guide s’inscrit dans la lignée de la stratégie nationale de la responsabilité sociétale et environnementale des organisations et des entreprises et fait écho à l’effervescence que connait le concept de la RSE en Tunisie (loi n°35 du 11 juin 2018 portant sur la RSE, ratification de plusieurs conventions internationales, publication d’un guide d’émission d’obligations durables…).
Il s’insère également dans la continuité des engagements internationaux de la Tunisie au titre du Pacte mondial des Nations unies. Bien qu’il ne soit encore qu’à ses débuts, ce guide est considéré comme nécessaire pour faciliter la divulgation des informations extra-financières, d’une manière homogène, comparable et exacte.
A ce titre, d’ores et déjà, quelques sociétés cotées ont déjà publié un rapport ESG conformément à notre guide, malgré son caractère non obligatoire.
De nombreux acteurs ont ainsi enclenché une dynamique vertueuse. L’action du monde financier tunisien ne pourra cependant être efficace que si elle est fondée sur des principes clairs et partagés. C’est ici que s’affirme le rôle des acteurs du marché des capitaux et des autres organismes d’utilité publique. Les évolutions et les tendances à nos frontières, illustrées par
une nouvelle directive européenne CSRD, qui verra le jour très bientôt et qui imposera de nouvelles règles d’accès au marché – notre premier marché -, ainsi que la dynamique observée chez nos concurrents immédiats, proches ou lointains, anticipant ces mouvances par l’instauration d’un cadre réglementaire incitatif, voire dissuasif, nous imposent de réfléchir sur un nouvel arsenal juridique capable de préserver notre tissu économique et de contribuer à la durabilité de nos entreprises, en commençant, peut-être, par rendre le Reporting ESG obligatoire pour les entreprises cotées, les entreprises publiques et les grandes entreprises privées.
Une belle brochette d’entreprises qui revigorera notre slogan d’antan : « La Tunisie Verte ».
(Article publié dans L’Economiste Maghrébin | Spécial Finance Novembre 2022)