Lors d’une interview accordée, samedi 19 novembre, à la chaîne TV5 Monde en marge du Sommet de la Francophonie, Emmanuel Macron a qualifié Kaïs Saïed « d’ami » et de « grand constitutionnaliste ». Une habile manière d’exercer une pression amicale sur lui, afin de l’inciter à revenir dans les clous de la démocratie?
Ne boudons pas notre plaisir. De l’avis général, le 18e Sommet de la Francophonie qui s’est tenu les 19 et 20 novembre à Djerba, est un succès. Au moins aux yeux du pays organisateur, du fait que cette grand-messe réunissant une trentaine de chefs d’État et de gouvernement, représente un élément de fierté pour la Tunisie. D’ailleurs le président tunisien Kaïs Saïed s’en est enorgueilli.
La pique de Kaïs Saïed
« C’est moi qui ai décidé que ce Sommet aurait lieu à Djerba plutôt qu’à Tunis. Voilà qui est chose faite. Puisse la réussite de ce Sommet faire taire tous ceux qui ont tenté de le faire échouer », s’est félicité le président Kaïs Saïed, à la veille de la tenue du sommet. Et ce, sans omettre de lancer une pique au Premier ministre canadien Justin Trudeau. Puisque ce dernier avait tout fait pour torpiller la rencontre de Djerba, avant de revenir à de bonnes dispositions sur l’insistance du président Macron.
La réussite du Sommet a été d’ailleurs confirmée par la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo. En effet, elle déclarait à la clôture du sommet que « Djerba n’a pas déçu… La Tunisie n’a pas déçu ».
Une opinion partagée par le premier ministre du Québec, François Legault. Celui-ci n’a pas manqué de souligner que « dans certains pays d’Afrique, il y a encore du travail à faire pour améliorer la démocratie et le respect des droits de l’Homme ». Sachant que contrairement à Justin Trudeau, il a rencontré dimanche matin le président de la République Kaïs Saïed. « J’en ai profité pour lui dire qu’on a aussi des préoccupations concernant la démocratie. Et qu’on espère que cela va bien se passer le 17 décembre », a-t-il assuré.
Emmanuel Macron : « Mon ami Kaïs Saïed »
Mais, ce sont les déclarations du président français, Emmanuel Macron, hôte de marque du sommet francophone, qui ont marqué les esprits.
En effet, revenant sur le processus politique actuel en Tunisie en relation avec « les valeurs de la Francophonie », le locataire du palais de l’Elysée n’a pas caché son « amitié » envers son homologue tunisien.
« Ce n’est pas le président de la République Française qui doit expliquer au président tunisien ce qu’il doit faire dans son pays. Par contre, ce que j’ai dit à mon ami Kaïs Saïed c’est que la France est là pour accompagner ce mouvement ». Ainsi soutenait-il lors d’une interview accordée, samedi 19 novembre, à la chaîne TV5 Monde en marge du Sommet de la Francophonie.
Apaisement, participation de « toutes les forces politiques »
Emmanuel Macron a par ailleurs exprimé le souhait « que les élections du 17 décembre se passent dans un cadre apaisé. Et que toutes les forces politiques puissent y participer et qu’elles donnent un résultat ».
Ainsi, il a glissé à l’oreille de l’ombrageux président tunisien qu’il est inutile et contreproductif de souffler encore et encore sur la braise de la discordance et de la tension extrême qui règne au sein de la classe politique. Mais qu’il opte plutôt pour l’apaisement et surtout qu’il œuvre pour la participation de « toutes les forces politiques » au lieu de la politique du schisme et de l’exclusion. Alors, sera-t-il entendu? Changera-t-il de politique à quelques semaines du scrutin législatif du 17 décembre prochain? Il est permis d’en douter.
Par ailleurs, et en réponse aux questions de Dominique Tchimbakala sur le processus démocratique en Tunisie depuis le 25-Juillet, le président français affirme en avoir parlé avec Kaïs Saïed. « Je pense qu’il est très important qu’il y ait un apaisement sur le sujet de la liberté politique et de la libre expression des médias. Je pense qu’un grand constitutionnaliste comme lui sera vigilant et il est vigilant ».
D’autre part, le chef de l’Etat français, qui n’a pas pris la parole à la tribune du Sommet, souhaite que les discussions qui sont entamées avec le Fonds monétaire international « puissent aller jusqu’au bout et être validées. Parce que la Tunisie a besoin d’un soutien économique et financier fort et que les Tunisiennes et les Tunisiens ont besoin de cela ».
Et d’ajouter : « Ce que je veux vous dire c’est que dans le moment que traverse la Tunisie, la France est aux côtés des Tunisiennes et des Tunisiens. Et ce, pour que le cadre constitutionnel et politique soit parachevé; pour que les libertés politiques si chères à ce grand peuple soient bien préservées; et pour que la situation économique et financière soit dument accompagnée ».
La voix discordante d’Abir
Mais, « l’amitié » qu’affiche désormais le chef de l’Etat français au président tunisien n’est pas évidemment pas du goût de la cheffe du parti destourien. Effectivement, dans un discours prononcé le 21 novembre devant le palais de la Justice, elle fustige « Macron, à la tête d’une République qui a mis en place la démocratie et la séparation des pouvoirs, soutient aujourd’hui que Kaïs Saïed est son ami, -celui-là même qui nous accusait d’être des collaborateurs- que la France va l’accompagner dans sa démarche et appuyer auprès du FMI son processus qui vise à nous livrer aux colonisateurs et à détruire toutes les institutions de l’État ». Ainsi, conclut la bouillonnante Abir Moussi.