Les importations d’automobiles constituent une « hémorragie de devises ». Cette récente déclaration a fait couler beau- coup d’encre, notamment du côté des concessionnaires en Tunisie. « Faux », assure Ibrahim Debache, président de la Chambre syndicale des concessionnaires automobiles, qui souligne que « la balance est effectivement positive entre ce que le secteur automobile rapporte à l’Etat et ce qu’il lui coûte ». L’interview a permis, par ailleurs, de faire le tour des questions du secteur de l’automobile en Tunisie, de sa contribution à l’emploi et de ses enjeux, à l’heure où l’Europe voisine entend se débarrasser des véhicules circulant à l’essence ou au gasoil.
Ibrahim Debache y déplore également un manque de concertation et affirme que la profession a des propositions capables de servir l’intérêt de tous : l’Etat, les concessionnaires et les utilisateurs. Il craint qu’en mettant des entraves, cela détourne les concessionnaires qui peuvent être tentés d’aller voir ailleurs.
En évoquant une « rationalisation des importations de voitures », qualifiée d’ « hémorragie de devises », le gouvernement ne va-t-il pas favoriser le marché parallèle ?
La question mérite d’être posée. De toute manière, la politique engagée depuis quelque temps en matière d’importation de véhicules automobiles ne semble pas bien cohérente. A commencer par le changement au niveau de la cessibilité des voitures entrées sous le mode dit FCR et concernant donc les Tunisiens qui rentrent définitivement après une période d’installation à l’étranger.
Depuis, juillet 2022, il a été décidé, comme avantage fiscal au profit des Tunisiens résidents à l’étranger, la possibilité de vendre un véhicule importé sous le régime FCR, immédiatement, sans attendre un an. Sans oublier que l’importation de voitures vieilles (jusqu’à cinq ans) a été autorisée. Et quand on sait que les Européens sont en train de se débarrasser des voitures roulant à l’essence ou au gasoil, d‘ici 2035, au profit des automobiles circulant à l’électricité, on comprend que le pays risque de devenir un dépotoir de vieilles voitures.
En même temps, l’abaissement du quota d’importation des voitures de 30% entre 2017 et 2018, l’augmentation de 25% du taux du droit de consommation applicable aux véhicules importés et la hausse de 19% de la TVA ont impacté le secteur automobile. Je voudrais aussi évoquer la question des nouvelles mesures d’importation des pièces détachées et de cette histoire de certificat exigé pour leur importation. Un non-sens, lorsqu’on sait que les concessionnaires garantissent les pièces qu’ils sous-traitent.
Lutter contre le marché parallèle et non officiel
On privilégie ainsi les importateurs qui peuvent facilement obtenir des garanties, en Chine ou ailleurs, pour les pièces qu’ils importent, qu’elles soient de qualité ou pas. Toujours dans le même esprit, l’objectif, cependant, est normalement de lutter contre le marché parallèle et non officiel.
Et que dire de cette « hémorragie de devises » évoquée à l’endroit de l’importation des véhicules automobiles ?
A ce sujet, les chiffres parlent d’eux-mêmes. La balance est effectivement positive entre ce que le secteur automobile rapporte à l’Etat et ce qu’il lui coûte pour ainsi dire. Les importations de matériel roulant, toutes catégories confondues, sont de l’ordre de 2435 millions de dinars, soit 4% de toutes les importations du pays (64 milliards de dinars). Nous contribuons à hauteur de 3,5 milliards de dinars, dont 2,2 milliards de dinars d’impôts et de taxes. Sachez aussi que 50% du prix d’un véhicule est constitué d’impôts et de taxes.
Le marché automobile représente 56 marques et 36 concessionnaires
Une dizaine en tout. Et on nous parle d’ « hémorragie de devises » ? N’oublions pas que le marché automobile représente 56 marques et 36 concessionnaires. C’est aussi 28 000 emplois. Sans parler du marché des pièces détachées, celui des garagistes et autres tôliers et électriciens automobiles.
Revenons, à ce propos, pour comprendre comment le secteur s’est développé ces quarante dernières années. Il y avait, à la fin des années 80, des fabricants sur place de matériel roulant. Et puis, il y a eu la crise qui s’est installée. On s’est rendu compte qu’il coûtait plus cher de les fabriquer sur place que de les importer. La taille du marché ne le permettait pas. On a opté alors pour la compensation.
Veut-on aujourd’hui tout changer ?
Nul ne le sait. On ne sait pas ce qui se cache derrière cette déclaration concernant les importations qui constituent une « hémorragie de devises ».
Les besoins du marché sont connus
Il y a cependant un moyen de voir clair et de prendre des décisions, dans l’intérêt de tous : l’Etat, les concessionnaires et les utilisateurs. S’asseoir autour d’une table. Les besoins du marché sont connus. L’Etat peut venir avec une proposition, comme par exemple accorder un quota et demander à ce qu’on amène des investissements pour créer des emplois. Nous savons que certains concessionnaires sont en train de fermer des usines en Europe de l’Est et délocalisent, on peut en profiter. D’autre part, des fabricants de pièces de rechange s’installent pour développer des affaires ou font des extensions. En contrepartie, l’Etat peut accorder des bonus.
Pour lire la suite de l’interview, elle est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin N° 857- du 23 novembre au 7 décembre 2022