Il nous arrive à tous, à un moment ou à un autre, d’avoir le sentiment de son impuissance, de son néant, de son isolement ; d’être privé du pouvoir d’agir contre l’indiscipline sociale, le mépris de l’autorité, les fureurs et les ruines du désordre ; de ravaler une colère devenue sourde, improductive et démobilisatrice à la vue de la lente dégradation des conditions de vie, le délaissement progressif de l’entretien des infrastructures, l’incapacité de protéger les droits des citoyens, d’assurer l’autorité sociale par des sanctions opportunes et de réprimer la délinquance des puissants.
On ne dispose plus guère de données fiables ni de prévisions solides sur ce qui pourrait advenir le lendemain eu regard aux capacités limitées de ceux qui gouvernent de pouvoir un jour redresser tout ce qui contribue à désorganiser une nation.
Les pouvoirs publics, privés des capacités et des mécanismes qui leur permettent de tirer profit de tous les domaines d’expertise et de compétence pour formuler la politique générale de développement, la préparation aux situations d’urgence, la sécurité humaine, ainsi que l’aménagement urbain et de l’espace, pour ne citer que quelques domaines, ne voient même plus l’intérêt, ne serait-ce que pour justifier des dépenses continues, à évaluer les résultats donnés par des mesures en cours ou des programmes passés.
Bref, nous entretenons le sentiment de notre propre inutilité au moment où le pays est menacé de déclin dans la mesure où le pouvoir est incapable de procurer avec l’ordre, l’harmonie et la prospérité à la société. C’est alors que survient chez certains cette phrase magique, caricaturale, péremptoire et arbitraire : si j’étais président de la République !
« Ce sentiment de désenchantement et de dépossession politique »
Ce sentiment de désenchantement et de dépossession politique que vivent quotidiennement un grand nombre de citoyens insatisfaits, choqués ou offusqués d’une foule de choses qui ne suscitent aucune réaction de l’autorité publique, le président du parti Afek Tounes, Fadhel Abdelkefi, l’a exprimé, à sa manière, à deux reprises. Une première fois, en proférant sur le mode du regret de voir son ambition contrariée chaque fois que le possible s’oppose au réel, déclarant que « si l’occasion lui était offerte, il réglerait la situation critique que traverse la Tunisie au bout de six mois et d’un trait de plume ». Telle qu’elle est formulée, cette irrévocable détermination est parfaitement légitime sous un régime de pluralisme démocratique qui admet l’alternance. Tout est donc question de savoir-faire et de temps imparti même si l’affirmation est trop péremptoire car on ne redresse pas un pays croulant sous les dettes et qui patauge dans une crise économique sans précédent en si peu de temps.
« Fadhel Abdelkafi s’est retrouvé contraint de moduler sa pensée »
Lors d’une seconde interview, accordée le dimanche 20 novembre à RadioMed, il récidive. Le contexte s’étant modifié avec la transformation survenue dans la dévolution du pouvoir, Fadhel Abdelkafi s’est retrouvé contraint de moduler sa pensée et d’introduire une subordonnée circonstancielle de condition qui vient en complément de phrase. Cette fois le second si est dans l’expression du souhait hypothétique autant que du regret. « Si je possédais les pouvoirs pharaoniques de Kaïs Saied, dit-il, j’aurais changé la Tunisie en six mois, d’un trait de plume». Alors que les délais sont maintenus (six mois), la faisabilité se retrouve subjuguée par une réalité nouvelle : le pouvoir absolu d’un Président dont la puissance est digne de celle d’un pharaon : commandant des forces armées et juge suprême, à la fois respecté, obéi et craint.
« Entre l’expression qui recourt à l’hypothèse et la réalité qui étale les faits »
Arrêtons-nous un instant sur cette surprenante analogie de notre égyptologue qui laisse penser que la différence qui sépare le pharaon de Kaïs Saied est somme toute minime autant que la courte distance qui sépare Fadhel Abdelkefi d’un légitime accès à la direction du pays. Or le pharaon n’est pas uniquement la représentation d’un pouvoir absolu mais surtout d’un pouvoir d’essence divine. Lui colle alors tous les attributs de celui qui fais couler l’or à flots, amoncelle les pierreries, commande, fait, défait, abaisse et élève, dont le pays était réputé par l’ampleur de ses monuments et du gigantisme de ses constructions. Face aux fauteurs de troubles, l’institution pharaonique seule est apte à mettre en place les barrières adéquates, à maintenir l’équilibre qui garantit la création, à maitriser le bien et le mal.
Kaïs Saied, un pharaon ? Dans ce cas nous serions déjà tous travailleurs, serviteurs, esclaves et Fadhel Albdelkafi probablement un scribe, un savant ou un haut fonctionnaire, ce qui n’est déjà pas si mal. N’a-il-pas été pressenti par kaïs Saied en personne pour la fonction de Premier ministre ? Ici c’est l’exagération qui amplifie les faits, la surprise déçue devant l’expérience qui motivent et autorisent cette distorsion entre l’expression qui recourt à l’hypothèse et la réalité qui étale les faits.
« S’accorder six mois pour venir à bout de tous les défis »
A écouter parler Fadhel Abdelkefi s’accorder six mois pour venir à bout de tous les défis, on ne manque pas de déceler chez lui l’arrogance la plus affectée, un orgueil et une susceptibilité ombrageuse, une certaine surestimation de soi faite de complaisance et d’angoisse. A ses yeux, si le détenteur aujourd’hui du pouvoir suprême avait reçu tout jeune son éducation, s’il était formé dans son milieu moral et intellectuel, s’il avait cette sensibilité, cette intelligence des justes rapports entre le politique et l’économique qui permettent à la démocratie de coexister avec le marché, le dieu imprévisible devant lequel plient les Etats comme le peuple, il aurait depuis longtemps remis le pays à l’endroit.
« Fadhel Abdelkefi se veut à la fois artisan du temps politique et du temps économique »
Fadhel Abdelkefi se veut à la fois artisan du temps politique et du temps économique. Or les hommes politiques sont mal formés pour affronter et gérer le temps de crise qui fait que la compréhension de la donnée temps est primordiale pour prévoir ce qui peut se passer dans l’avenir comme changement et bouleversement, aussi bien dans le paysage politique national que dans la sphère géopolitique. Michel Rocard n’avait-il pas souligné qu’il fallait laisser le temps au temps ?
« Offrir l’indispensable contrepoids aux dérives du pouvoir »
Dans un régime reposant sur des institutions établies, ces tendances refoulées du ‘si j’étais président de la République’, gardent tout leur dynamisme et permettent de lutter contre l’indifférence des pouvoirs publics pour offrir l’indispensable contrepoids aux dérives du pouvoir. Mais il faut pour cela un rassemblement des citoyens unis par une philosophie ou une idéologie commune et dont le rôle essentiel est de participer à l’animation de la vie politique.
Dans un modèle de ce type, l’attention est habituellement portée sur les programmes des dirigeants qui sont investis par leurs partis, autant que sur leurs projets de société. L’attention est également interpellée par les logiques concurrentielles des discours politiques, par les réponses aux attentes des électeurs de la part de celles ou ceux qui font profession de politique qui s’appuient sur un ensemble de groupes et d’organisations qui leur sont liés.
L’exercice de la citoyenneté représentative
Une fois au pouvoir, leurs membres défendront une idéologie et une vision commune. Relégués dans l’opposition, ils ont pour objectif la conquête et l’exercice du pouvoir afin de mettre en œuvre des solutions alternatives à la politique de la majorité. Les échéances électorales offrent le moment venu les conditions d’inclusion de l’individu dans la communauté politique et représentent une dimension importante de la participation aux décisions. Il arrive cependant, que l’exercice de la citoyenneté représentative et la délibération publique soient momentanément à l’arrêt sans faire taire pour autant le débat politique. Les opinions pourtant se forment et s’échangent, qu’il s’agisse des espaces publics, de la sphère médiatique ou de la société civile.
« L’accès à la magistrature suprême justifierait-il une telle confiance en soi »
Pour Aristote, le citoyen est celui « qui est capable aussi bien de gouverner que d’être gouverné ». L’accès à la magistrature suprême justifierait-il une telle confiance en soi, une telle prétention, un tel acharnement pour le pouvoir qui pousse au désespoir, à ce grave état d’accablement, à l’impossibilité pour un opposant d’exprimer par le moyen de son art des propos réalistes ? Le gouvernement du pays serait-il devenu une fonction qu’on aborde avec des si pour nourrir un combat douteux dont on comprend mal le véritable enjeu ? La promotion de la démocratie est assurément incompatible avec l’exhibition médiatique et instrumentale de ses désirs.