Les manifestations en Iran se poursuivent pour le troisième mois consécutif. Depuis le jour où Mahsa Amini est décédée, suite à son arrestation pour « port de vêtements inappropriés », l’Iran est en ébullition. Le bouillonnement populaire contre le régime en place rappelle l’insurrection de l’hiver 1978-79 qui avait balayé la dictature sanguinaire du Chah Mohammed Reza Pahlavi.
Sauf qu’à l’époque, les grandes puissances occidentales soutenaient le régime du Chah d’Iran contre les insurgés. Mais, 42 ans plus tard, les mêmes puissances versent des larmes de crocodile sur les morts et les blessés. Tout en brandissant hypocritement la Charte des droits de l’Homme pour justifier leur hostilité virulente contre les Mollahs qui tiennent les rênes du pouvoir à Téhéran.
Nul besoin de revenir à 1953, année où une conspiration américano-britannique étouffa dans l’œuf l’expérience démocratique initiée par Mohammed Mosaddeq, pour comprendre que les puissances occidentales se soucient comme d’une guigne du bien-être du peuple iranien ou de son sort. Ce qui les intéresse en Iran comme ailleurs, ce sont uniquement et exclusivement leurs intérêts.
Mohammed Mosaddeq a touché aux intérêts de Washington et de Londres, il fut renversé sans état d’âme. Le Chah était le gardien des intérêts occidentaux en Iran et dans le Golfe, il fut soutenu par tous les moyens dont disposait l’Occident contre le soulèvement des millions d’Iraniens. Washington, Londres et Tel Aviv n’avaient épargné alors aucun effort pour aider la Savak et l’armée du Chah à sauver le régime dictatorial. En vain.
Aujourd’hui, les mêmes qui, il y a 43 ans, armaient la dictature du Chah contre le soulèvement du peuple, changent leur fusil d’épaule. En encourageant « les vaillants manifestants » à poursuivre leur soulèvement jusqu’à l’effondrement de la dictature des Mollahs, objectif qu’ils poursuivaient depuis plus de quatre décennies.
Le plus ridicule est que les puissances occidentales feignent toujours de croire qu’on les croit quand elles nous assurent que deux des plus importants piliers de leur politique étrangère sont la défense des droits de l’Homme et la promotion de la démocratie.
Cela dit, il faut dire que la chape de plomb étouffante imposée durant plus de quatre décennies par le clergé chiite au peuple iranien est devenue intolérable. Comment les Iraniens et Iraniennes ne se soulèvent pas quand, 42 ans après l’instauration du régime islamique, une femme meurt en détention pour « port de vêtements inappropriés » ? C’est-à-dire pour port du voile de manière négligée qui heurte les âmes fanatisées des gardiens du temple.
La réaction violente du régime des mollahs contre les manifestations ressemble à celle des pompiers qui voulaient éteindre le feu en l’arrosant d’essence. Plus la répression se durcit, plus les manifestations s’étendent et la haine contre régime islamique se développe.
Il y a 43 ans, le régime du Chah s’est effondré quand les manifestants n’avaient plus peur des forces de l’ordre et les affrontaient dans les rues. Aujourd’hui, la même dynamique semble se développer quand les manifestants défient les Gardiens de la Révolution; quand les femmes brûlent leur tchador et libèrent leur chevelure; quand l’un des symboles sacrés de la Révolution (la maison où vécut Khomeiny) est incendié.
Il y a 43 ans, le régime du Chah s’est effondré quand des voix influentes parmi les hauts fonctionnaires et les universitaires s’étaient ralliées aux manifestants, dénonçant la répression sanglante. Aujourd’hui, la même dynamique est à l’œuvre. Les critiques et les dénonciations du traitement sécuritaire des troubles ne viennent plus seulement des opposants, mais de l’intérieur du régime islamiste lui-même. La dernière dénonciation qui a fait les gros titres de la presse mondiale est venue de la nièce du « guide suprême » Ali Khamenei. Farideh Maradkhani a dénoncé avec virulence la répression sanglante menée par le régime des mollahs à la tête desquels se trouve son oncle maternel. Elle est arrêtée le 23 novembre…
On reste pantois face à l’aveuglement du régime des mollahs qui semble frappé d’incapacité de tirer les leçons du passé. De se remémorer les erreurs commises par le régime du Chah. Erreurs fatales qui avaient aidé Khomeiny, ses disciples et ses partisans à conquérir le pouvoir en février 1979.
Pourtant, le drame, qui depuis trois mois ensanglante l’Iran, aurait pu très bien être évité si la raison avait pu prévaloir dans les cercles du pouvoir. La crise aurait pu être désamorcée dès le départ si le régime s’était excusé de la mort de Mahsa Amini et avait poursuivi en justice les coupables. Il aurait coupé l’herbe sous les pieds de ses opposants à l’intérieur et de ses ennemis à l’extérieur, si, après la mort de Mahsa Amini, il eut le courage et l’intelligence de donner la liberté au femmes de porter ou non le tchador.
Mais le fanatisme a la peau dure. Aujourd’hui, le régime islamiste d’Iran passe par la plus grande crise de son existence. Il est confronté à la fois aux troubles intérieurs et aux menaces extérieures, principalement celles venant des Etats-Unis et d’Israël.
Le régime du Chah, bien que soutenu par les grandes puissances étrangères, n’avait pu résister à la fureur populaire. Le régime des Mollahs, confronté à la fois à la fureur populaire et à l’hostilité des grandes puissances, survivra-t-il encore longtemps ?