Amina Bouzguenda Zeghal, directrice générale du campus tunisien de l’une des plus prestigieuses universités françaises, était, ce samedi matin 19 novembre 2022, sur le plateau de TV5 Monde, pour commenter en direct la cérémonie d’ouverture du 18ème Sommet de la Francophonie qui se tient à Djerba.
Docteure en mathématiques, formée à Paris et à New York, universitaire, membre actif de la société civile en Tunisie et en Afrique, elle est aussi chevalier de l’Ordre des Palmes académiques et titulaire du Prix du rayonnement français pour la francophonie, deux distinctions qui témoignent de son engagement pour la promotion d’une communauté unie autour d’une langue et de valeurs communes. Interview.
Quel est le potentiel économique aujourd’hui de la francophonie ?
La langue française est indéniablement un atout économique pour les pays qui l’ont en partage. Si on observe un peu les chiffres, le français, c’est aujourd’hui 300 millions de locuteurs sur la planète, la 4ème langue sur internet, la 2ème langue la plus apprise dans le monde, ce qui en dit long sur son attrait. Le français est la seule langue – après l’anglais naturellement – à être présente sur les cinq continents. C’est un atout.
L’espagnol ou le chinois, qui sont des langues avec une communauté importante de locuteurs, passent après le français. Aujourd’hui, l’espace francophone renferme 88 Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ; cela représente déjà 16% du PIB mondial, avec un taux de croissance économique autour de 7% et un marché de 540 millions d’individus, qui seront 700 millions en 2050, du fait de la démographie africaine.
Ce n’est pas rien ! Indéniablement, le partage du français favorise les relations économiques et commerciales en créant des zones d’échanges privilégiées entre partenaires francophones.
« Aujourd’hui, l’espace francophone renferme 88 Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ; cela représente déjà 16% du PIB mondial, avec un taux de croissance économique autour de 7% et un marché de 540 millions d’individus, qui seront 700 millions en 2050, du fait de la démographie africaine »
Dans un monde désormais multipolaire, ultra-compétitif, traversé par des défis considérables, le partage de la langue, mais aussi de valeurs communes liées à cette linguistique, engendre une certaine solidarité sur laquelle nous pouvons construire et développer au bénéfice de tous.
Par ailleurs, la francophonie a des outils pour capitaliser sur ses atouts et consolider son potentiel économique : le Forum francophone des affaires FFA, est le premier réseau d’entreprises au monde.
Il est l’animateur de toute une série d’actions très efficaces et défend les intérêts des entreprises francophones dans près de 120 pays. Il est un relais majeur à travers son Observatoire économique francophone et ses Assises de la francophonie économique, sorte de « Davos en français ».
Le potentiel économique de l’espace francophone est donc une réalité et nous devons tous œuvrer, francophones du monde entier, à le consolider.
Justement, comment peut-on faire de cet espace une zone de codéveloppement et de coprospérité ?
Il y a déjà une solidarité de fait, comme je le disais, à travers le partage de la langue, mais surtout d’une vision commune basée sur des valeurs fondées par cette langue. Mais ça ne suffit pas. Je rejoins en ce sens le géographe et enseignant réunionnais Wilfrid Bertile qui, dans son dernier ouvrage [NDLR Les pays francophones dans la mondialisation : s’en sortir ensemble ?], reprend une idée qui, certes n’est pas nouvelle, mais qu’il a le mérite de structurer en proposant une feuille de route.
C’est celle de la création d’une Union francophone, à la manière du « Commonwealth » anglais, une union la plus intégrée possible, en nouant de nouveaux rapports Nord-Sud pour modifier le rapport de force et créer un espace de coprospérité qui pèserait sur l’évolution de la mondialisation et jouerait un rôle majeur dans le règlement des grands défis de notre siècle, à commencer par l’action climatique par exemple.
Je fais mienne la phrase de l’auteur : « Les enjeux sont de taille, les obstacles nombreux, l’alternative inexistante. Réussir est une obligation ».
Comment l’éducation peut-elle contribuer au renforcement de cet espace ?
Là encore, nous disposons déjà d’outils très intéressants, à commencer par le réseau mondial d’universités francophones à travers l’Agence universitaire francophone, l’AUF. C’est un réseau qui compte plus de 1000 universités et qui s’avère très dynamique dans la promotion de projets structurants pour le développement de l’éducation scientifique par exemple.
La francophonie gagnerait aussi en force avec la mise en place d’un erasmus favorisant la mobilité inter-pays francophones de la jeunesse, une mobilité autorisant la compréhension de jeunes issus de différentes cultures, mais partageant les mêmes valeurs liées à la francophonie.
Actuellement, le déséquilibre en matière d’éducation entre le nord et le sud de l’espace francophone demeure l’un des défis majeurs de notre époque. Nous devons considérer aujourd’hui que chaque francophone doit pouvoir avoir accès à l’enseignement primaire et universitaire. C’est le rôle depuis 2015 de l’Institut de la francophonie pour l’éducation et la formation.
Tous ces outils peuvent trouver un nouvel élan dans les programmes d’investissement dans le numérique et l’intelligence artificielle qui permettent de développer de nouveaux modes d’éducation, plus agiles, plus nombreux.
Disposer de compétences, expertes dans leur domaine, qui puissent participer au développement des régions les plus défavorisées de l’espace francophone est l’un des enjeux majeurs, doublé de celui de rivaliser au niveau mondial en matière de recherche, d’innovation et de création de brevets.
Vous êtes à la tête de Paris Dauphine Tunis, quelles actions avez-vous mises en place dans ce sens ?
En matière d’enseignement supérieur, le campus tunisien de l’Université Paris Dauphine joue un rôle de plateforme africaine francophone entre le Nord et le Sud. Dauphine à Tunis favorise la mobilité des étudiants africains, mais pas que ! Nous œuvrons aussi à faciliter la mobilité des étudiants français, belges, suisses vers le Sud. Sur le campus, cette année, nous comptons des étudiants africains mais aussi plusieurs étudiants venus de France.
Nous avons eu par le passé des étudiants libanais également. Et c’est ce brassage d’identités qui ont toutes en commun la langue française qui fait la force de notre université offrant, à Tunis, terre de langue arabe mais où le français est une tradition linguistique forte, un diplôme français en Licence ou en Master.
Nous travaillons chaque jour à développer notre notoriété auprès de tout l’espace francophone, avec l’objectif de former des compétences qui travailleront demain au développement de cette zone.
Propos recueillis Par S.M