Kamel Jendoubi est revenu récemment sur les prochaines élections législatives anticipées; ainsi que sur le rôle de l’ISIE et le processus du 25-juillet. Le jugement est implacable, le ton inquisitoire. C’est dire la frustration et la profonde déception de l’homme qui encadra le premier scrutin libre et transparent après la révolution de 2011.
Qui est mieux placé que Kamel Jendoubi, le premier président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), chargée de l’organisation de l’élection d’une Assemblée constituante? D’ailleurs un homme de qualité, doublé d’un sourcilleux défenseur des droits de l’Homme et des libertés. Et ce, pour livrer ses impressions sur le déroulement du scrutin législatif anticipé prévu pour le 17 décembre prochain?
« Le Président décide de tout, mais n’est responsable de rien »
Invité successivement le 21 novembre sur Shems FM ainsi qu’hier lundi 28 novembre par Elyes Gharbi dans l’émission Midi Show sur Mosaïque FM, Kamel Jendoubi n’y va pas par quatre chemin. Et ce, pour affirmer que « les élections législatives ne sont pas de nature à consolider le processus démocratique en Tunisie ». D’autant plus, estime-t-il, que les élections législatives se déroulent dans un climat spécifique.
Climat spécifique? « Lors de la dernière décennie, les processus électoraux, et en dépit de certaines lacunes, se sont déroulés dans un contexte de volonté de renforcer le processus démocratique. C’est-à-dire qu’il y avait des élections, des instances, des autorités, un équilibre des pouvoirs. De même que des Tunisiens qui votent en toute liberté, qui disposent d’une liberté d’opinion, d’expression, ainsi que d’une liberté de s’organiser. Mais, a-t-il déploré, « l’actuel contexte est loin de cela ».
Régime d’exception
Et de constater avec amertume, « depuis le 25 Juillet, nous vivons sous un régime d’exception. En effet, la Constitution de 2014 est caduque, le Parlement dissous, l’activité de plusieurs instances constitutionnelles suspendue ». Bref, selon lui, le 25 juillet n’est pas un « processus de reconstruction »; mais plutôt un « processus subversif. Puisque l’approche du président de la République est « unilatérale ». Il « décide de tout, mais n’est responsable de rien », argue-t-il.
« Comment peut-on parler d’élections transparentes et indépendantes, dans un tel contexte? Alors que le président de la République est la seule partie concernée par cette échéance électorale », s’est-il interrogé.
D’autre part, Kamel Jendoubi estime qu’ayant été élu sur la base d’une constitution qu’il a « bafouée » plus tard, « Kaïs Saïed n’est plus le président de tous les Tunisiens. Il n’est le président que d’une partie des Tunisiens, ceux qui le soutiennent et approuvent le 25 Juillet ».
Implacable, l’intervenant juge que le chef de l’Etat, « qui cherche toujours à démontrer qu’il possède la réalité, toute la réalité », est « en campagne perpétuelle ». Ainsi, « il parle au nom du peuple et se substitue même au peuple », ajoute-t-il. Notant au passage que la nouvelle constitution a été votée par 90 % des 30 % des électeurs qui ont participé. E sans qu’un seuil n’ait été fixé pour approuver le projet.
Kamel Jendoubi : « L’ISIE n’est pas indépendante »
Revenant sur l’ISIE de Farouk Bouaskar, l’ancien ministre chargé des Relations avec les institutions constitutionnelles, la société civile et des Droits de l’homme dans le gouvernement d’Habib Essid, juge que cette instance constitutionnelle « n’est pas indépendante ». Son rôle étant « de mettre en œuvre le projet politique du président de la république, Kaïs Saïed », poursuit-il.
« L’ISIE n’était pas prête pour organiser le référendum mais l’a quand même fait. Ce qui prouve qu’elle ne fait qu’appliquer « les ordres du pouvoir en place », souligne-t-il encore.
Epée de Damoclès
Evoquant enfin le très controversé décret 54, l’actuel président du groupe d’experts des Nations-Unies sur la guerre au Yémen, estime que ce décret constitue « une épée de Damoclès sur la tête de tout ce qui est considéré comme étant diffamation, insulte et autre ». De plus, « il aura un impact négatif sur les élections car il pousserait les gens à l’autocensure ».