Tout d’abord nous l’appelons Tunisie heureuse, parce que à sa tête il y a un heureux, Saiid, en arabe ou Saïed pour le diminutif. Sauf que la Tunisie de 2022, n’est pas si heureuse que cela. Elle s’endort sur une catastrophe pour se réveiller sur un cauchemar.
C’est ainsi que le 25 novembre 2022, le soir précisément, la toile tunisienne s’embrase à la publication d’une liste de 25 personnalités politiques, médiatiques, artistiques, sécuritaires et d’hommes d’affaires, déférées par le Parquet pour « complot contre la sécurité de l’Etat ». Rien que cela! C’était cauchemardesque, non seulement pour les personnes citées, mais aussi pour la Tunisie toute entière. Car elles sont accusées jusqu’à preuve du contraire par le Parquet de verser dans la « constitution d’une bande criminelle ». Et surtout d’une sordide affaire de « blanchiment d’argent » et de « complot contre la sécurité d’Etat ». Ainsi, plusieurs personnes sont arrêtées par le juge d’instruction. Parmi lesquelles un patron d’une société de « paris » via le net chez qui on aurait trouvé environ dix millions de dinars, dont une partie en devise. Et l’investigation ne fait que commencer!
Cela sent le souffre
Il ne manquait donc que des sportifs, mais cela ne saurait tarder. Etant donné que le principal accusé, un certain W.B qui sent le souffre, a été pendant trois ans un chargé de mission de l’ancienne vedette du football, devenu ministre des Sports de la Tunisie sous le règne d’Ennahdha et qui brillait pour son inculture et absence de diplômes. Un zelm, parmi ceux qui avaient vite retourné la veste ce soir du 14 Janvier 2011. Sachant qu’il figurait sur la liste du défunt RCD pour des élections municipales de l’Ariana et était connu pour être très proche des différents ministres de Ben Ali, sauf un! Donc, quoi de plus normal que de prendre comme conseiller un fonctionnaire du même ministère qui semble avoir fait ses preuves dans les intrigues qui infestaient déjà à l’époque les milieux sportifs. C’est à partir de ce poste politique, que notre homme va faire sa carrière politique, mais surtout sa fortune qui semble être devenue en quelques années colossale. Un « révolutionnaire devenu milliardaire! » Il est loin d’être le seul.
Pour le côté politique, dans une Tunisie en pleine « révolution », il n’y avait pas mieux que de s’encarter dans un parti « révolutionnaire ». Et son choix fût porté sur celui des Abbou, mari et femme. Ces derniers à l’époque défrayaient la chronique pour leurs prises de position incendiaires contre les « valets, azlem » de l’ancien régime; mais qui recrutaient précisément dans ce milieu, dont notre fameux homme. Mais comme le vent tournait rapidement, il avait fini par claquer la porte. Car Mohammed Abbou, cet éternel instable, avait abandonné son ministère dit de la « Fonction publique » et n’était plus un cheval gagnant.
On retrouvera notre homme qui avait disparu des radars, quelques années plus tard, à la tête d’une société de paris sportifs. Puisque, entre temps, l’Etat cédait son monopole par le biais d’une ruse juridique, sans dissoudre le Promo sport, sa structure étatique. L’on ne sait pas les raisons de cette manœuvre et l’enquête en cours pourrait éventuellement nous éclairer. C’est la raison peut être de la présence dans cette liste de deux ex-ministres des Finances de la Tunisie. Mais l’on se demande pourquoi ces deux là seulement. Sachant qu’ils étaient préposés pour être les premiers ministres de Kaïs Saïed en personne, après le coup de force du 25 juillet 2021, et qui donc approuvaient ce coup et soutenaient forcément son action.
Parions même, que l’opération était parfaitement légale, mais la politique a ses raisons que la raison ignore. Même si l’un deux a changé d’avis et est devenu chef d’un parti d’opposition. Quant à l’autre, son itinéraire scientifique et politique n’a jamais été entaché. Il a même était ministre dans le gouvernement de Mehdi Jomaa sur proposition de la centrale syndicale et du front populaire de gauche. L’enquête nous révélera pourquoi il fût convoqué.
Mais de là à parler d’un complot contre la sécurité de l’Etat, il y a un pas qu’une personne censée n’ose franchir. A moins qu’il ne s’agisse que d’un coup d’Etat comme tous les autres, pour lesquels des enquêtes ont été ouvertes en Tunisie sans que cela n’aboutisse à rien. En particulier cette pseudo-tentative d’assassinat de l’ex-directrice du cabinet présidentiel, par une lettre empoisonnée, la dénommée Nadia Akacha, en fuite actuellement entre Paris et Dubaï, et que l’expertise faite par les laboratoires officiels de l’Etat a démentie. Car il ne s’agissait nullement d’un poison. Cette dame, qui figure dans la liste, promet, pour se défendre, de faire « des révélations ». Une forme classique de chantage, indigne d’un haut responsable que le hasard a placé à la tête d’une institution qui était prestigieuse jusqu’à 2011. Mais en ayant écouté ses bavardages au téléphone avec un agent d’une ambassade étrangère à l’étranger, et vu le niveau très bas de son commérage, des ragots de caniveau, elle les démentait évidemment. Avant que l’agent en question ne donne une interview à un magazine français, pour l’enfoncer davantage.
Pour revenir à notre personnage principal, et en rapport avec cette Nadia Akacha, il faut seulement se rappeler de la fameuse lettre « confidentielle » que le premier a adressé à la seconde. Et ce, pour lui détailler le plan qui doit être suivi pour appliquer l’article 80 de l’ancienne constitution de 2014, et qui a effectivement été exécuté le 25 Juillet 2021.
Cette lettre a été fuitée sciemment, pour préparer l’opinion publique sans alerter sérieusement ses principales cibles. A l’époque, quelques semaines avant le coup de force, tout le monde rigolait en lisant « la feuille de route » des supposés organisateurs d’un coup pareil. Mais les faits ont fini par confirmer ce plan proposé justement par ce même Walid El Balti. Celui-ci devenant, semble-t-il après le 25 juillet 2021, un des faiseurs de rois, ayant la haute main sur les nominations aux postes dans l’appareil de l’Etat. Alors qu’il n’était pourtant qu’un simple gérant d’une boite de maysar (terme coranique qui signifie, pari, formellement interdit en islam). On est donc en face d’un vrai comploteur, non pas en raison des accusations actuelles qui pèsent sur lui; mais surtout en raison de son implication dans l’avènement du 25 juillet 2021. Ce qui peut être peut nous expliquer les liens entre « paris sportifs » et « coup d’Etat ».
Coup et contre coup d’Etat
Le coup d’Etat maquillé en révolution de 2011 a ouvert l’appétit pour les coups d’Etats dans notre pays. Il faut rappeler que l’avènement de la République a été possible grâce à un coup d’Etat, légitime, populaire et révolutionnaire contre la dynastie des Beys. Et coup du 7 novembre était aussi un coup d’Etat légitime pour cause de maladie incurable du leader Habib Bourguiba. Quant au coup d’Etat de 2011, il aurait pu devenir légitime s’il ne s’était pas transformé en coup d’Etat non seulement contre Ben Ali, mais contre l’Etat même de la République; et ce, pour préparer la prise du pouvoir par les islamistes.
Le coup de force de KS, était aussi légitime et populaire contre l’usurpation du pouvoir par les enfants de Hassan El Benna. Il aurait pu le transformer en une victoire définitive contre les forces antinationales. Et ce, s’il avait respecté les principes de l’Etat de droit, des institutions, aussi bien que la nouvelle constitution. Laquelle, de l’aveu même de KS ne correspond pas aux idéaux et principes énoncés par Montesquieu. D’ailleurs, il compte instaurer un système populiste où tous les pouvoirs sont contrôlés par le seul Président de la République.
Mais contre « le coup d’Etat » tel qu’il est nommé par ses opposants, un autre coup d’Etat se prépare. Et ce n’est pas par les personnes citées dans la fameuse liste des 25. Ceux qui préparent le contrecoup, l’ont crié sur tous les toits, à commencer par Rached Ghannouchi, Nejib El Chebbi et autres zélotes du démocratisme. Evidemment, ils n’ont pas dit comment, mais ils ont tous affirmé que c’est pour bientôt. A l’évidence tous ces « démocrates » comptent sur un coup de main extérieur. Puisque à eux seuls, ils ne peuvent même pas rassembler des centaines de personnes. Le très démocrate ex-président de la République a même déclaré que le candidat qui remplacera KS a été déjà choisi!!! Il a dit cela sans rire, prouvant encore son infantilisme et son incompétence politique.
Mais il est certain, théoriquement parlant, que les adversaires et les ennemis de KS ne resteront pas les bras croisés. Et ils le revendiquent haut et fort, sans d’ailleurs que le Parquet intente une action contre eux. Pourquoi? Et pourquoi alors accuser « de complot contre l’Etat » de supposés criminels de droit commun, du moins jusqu’à maintenant? Pourquoi impliquer des personnalités jusqu’alors hors de tout soupçon? Comme des journalistes célèbres et dont les itinéraires démontrent que leur profil ne correspond nullement à ceux des putschistes ou des conspirateurs. Une énigme que seul le juge d’instruction chargé de l’affaire pourrait résoudre. A moins qu’on n’ait choisi l’amalgame pour des objectifs non avoués.
Evidement, il y a d’autres affaires qui peuvent êtres regroupées sous la même rubrique « coups d’Etats, non éclaircis ». D’ailleurs, la liste risque de s’allonger et les médias s’en saisissent généralement avant de les reléguer dans la rubrique des « coups d’Etat perdus » et se préparer aux prochains « coups d’Etat ». A tel point qu’un chercheur en histoire dans une époque lointaine à venir risquerait d’en perdre son latin. En attendant les coups d’Etats se suivent et ne se ressemblent pas en Tunisie, sans que cela change le destin du pays. Heureusement!