Noureddine Tabboubi menace de prononcer «un discours officiel» mardi prochain, au cours duquel «les choses seront appelées par leur nom». Des paroles en l’air de la part du patron de la centrale syndicale réputé pour sa pondération et son sens de la mesure ?
C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Selon Echaab news, journal en ligne de la centrale syndicale, l’UGTT était invitée, mardi 29 novembre à Dar Dhiafa à Carthage, pour participer à un atelier sur le thème de la gouvernance des entreprises et des structures publiques.
Vexation délibérée ?
Or, on a constaté que les membres du gouvernement, et à leur tête Najla Bouden, étaient absents. De plus, il s’est avéré que l’ordre du jour, pourtant déjà fixé d’avance, a été modifié. « La délégation du bureau exécutif de l’UGTT n’avait pas d’autre choix que de se retirer pour protester contre le traitement réservé aux grands dossiers nationaux, et les manœuvres détournées du gouvernement », ajoute la même source.
Etonnante désinvolture de la part du gouvernement qui s’est illustrée par son absence, à moins qu’il ne s’agisse de négligence de ponctualité à cet atelier, censé traiter un sujet ultrasensible, à savoir la « gouvernance » des entreprises publiques. Une manière détournée d’évoquer la « cession »des instances publiques, condition sine qua non à tout accord préalable avec les bailleurs de fonds. Cette attitude, dénoncée par la centrale ouvrière, veut-elle dire que le gouvernement Bouden, soucieux d’appliquer à la lettre « les exigences du FMI », se soucie désormais comme d’une guigne d’un partenaire social de la taille et du poids de la centrale ouvrière ?
« Pas étonnant à la lumière de cette attitude que le ton monte dangereusement entre la place Mohamed Ali et le palais de La Kasbah »
Pas étonnant à la lumière de cette attitude que le ton monte dangereusement entre la place Mohamed Ali et le palais de La Kasbah. Ainsi, lors d’un rassemblement populaire organisé hier mercredi 30 novembre par la Fédération générale du transport, le SG de l’UGTT, Noureddine Tabboubi, est revenu justement sur la conférence de Dar Dhiafa: « Nous avons été invités hier à une réunion sur le thème de la restructuration des établissements publics, prévue le jour même. Nous avons quand même décidé d’y aller avec une délégation composée de cinq membres du bureau exécutif national et quatre experts ».
« Or, surprise, aucune délégation du gouvernement n’était présente. Si le gouvernement voulait s’engager sérieusement dans la voie de la réforme des entreprises publiques, il aurait fallu nous faire part, au moins un mois à l’avance, du contenu et de la vision de ce plan de réformes, mais le gouvernement nous a délibérément invités le jour même de la réunion, comptant sur le fait que nous n’allions pas venir, mais nous nous y sommes rendus », s’est indigné le patron de la centrale ouvrière.
Tabboubi fustige « le retour de la colonisation »
Toujours au sujet des reformes des entreprises publiques, sujet principal de discorde entre le gouvernement et l’UGTT, Noureddine Tabboubi a accusé le gouvernement d’avoir eu recours aux services d’un cabinet de conseil étranger pour traiter ce dossier : « Ils ont donné le dossier des établissements publics à un cabinet français. Nos intérêts sont aux mains des Français, mais nous refusons le retour de la colonisation par le biais des choix économiques ».
« Le gouvernement doit dire la vérité aux Tunisiens »
Mettant, d’autre part, en garde contre la dégradation de la situation sociale et économique du pays, l’intervenant a affirmé devant une foule d’employés du secteur du transport que « le gouvernement est en train de manipuler le peuple. D’ailleurs, la levée de la subvention a été appliquée en catimini. Les prix des carburants ont augmenté, entraînant systématiquement ceux des denrées de base, à l’instar du sucre », a-t-il martelé, exhortant au passage le gouvernement à « dire la vérité aux Tunisiens concernant le contenu de l’accord avec le FMI ». Il a rappelé à l’occasion que l’UGTT rejette toute « démarche unilatérale ».
Est-ce le point de non-retour entre les deux parties ? « L’Union générale tunisienne du travail est libre de tout engagement avec le gouvernement », précisait Noureddine Tabboubi et que son organisation « est entrée dans une bataille sociale et ne renoncera pas à ses choix sociaux ». Et d’annoncer qu’un rassemblement syndical «massif» sera observé par la centrale syndicale pour dénoncer la hausse des prix et défendre la souveraineté nationale».
Il a également promis de prononcer un discours mardi prochain au cours duquel « les choses seront appelées par leur nom ». Il a affirmé aussi que la centrale syndicale ne craint pas les prisons et qu’elle sera au cœur de la «bataille nationale».
De l’art de se tirer une balle dans le pied
Faut-il s’attendre à des déclarations fracassantes de la part d’un homme visiblement blessé par l’attitude gouvernementale à son égard ? S’agit-il d’un discours enflammé destiné à sa base ?
Reste enfin la lancinante question : quel intérêt a le gouvernement à se mettre à dos la puissante centrale syndicale au moment même où l’explosion sociale est tout à fait prévisible ?