De part et d’autre de l’Atlantique, les pays impliqués depuis neuf mois dans la guerre d’Ukraine sont au bord de la crise de nerfs. Fissures et craquelures se forment dans les rapports euro-américains d’une part et les relations inter-européennes d’autre part. Les uns et les autres ne sachant plus comment gérer l’interminable crise de l’énergie, les demandes sans fin d’aides militaires et financières et de « l’ingratitude » des dirigeants ukrainiens.
Côté euro-américain, le spectacle est désolant et les dirigeants, bien qu’ils s’efforcent de ne rien faire paraitre en public, ne cachent pas leur fureur en privé. Côté russe, le spectacle est plaisant et les dirigeants ne cachent pas leur satisfaction qu’ils expriment haut et fort. A l’exemple de l’ancien président russe, Dmitri Medvedev, qui a déclaré le 28 novembre que « le mariage entre les États-Unis et l’UE se terminera par un divorce à cause de l’escroquerie économique américaine. »
Les raisons qui inquiètent les Américains et les Européens sont les mêmes qui remplissent d’aise les Russes. Car les fissures sont là, de plus en plus visibles. Des fissures qui n’épargnent même pas les relations avec l’Ukraine, bien que Washington utilise ce pays comme un atout précieux au service des objectifs stratégiques américains.
En juin, les Etats-Unis ont pour la première fois manifesté leur agacement et leur colère face à l’Ukraine. Alors que Biden annonçait au téléphone « la bonne nouvelle » du versement d’un nouveau paquet de milliards de dollars, Zelenski, au lieu de remercier, eut l’insolence de répondre à son bienfaiteur que la somme versée est « modeste » au vu de « l’énormité des besoins ». Biden, hors de lui, demanda au président ukrainien de « faire preuve d’un peu de gratitude », avant de lui raccrocher au nez. Selon la presse américaine, Biden ne voulait plus le prendre au téléphone…
Peu de temps après l’incident téléphonique, le journaliste Thomas Friedman a rapporté dans le New York Times qu’« en privé, les responsables américains sont beaucoup plus préoccupés par le leadership de l’Ukraine qu’ils ne le laissent entendre ». Ajoutant qu’« il y a une profonde méfiance de la Maison-Blanche envers le président ukrainien ».
La méfiance s’est accrue en novembre, lorsque l’Ukraine a obstinément rejeté les résultats d’analyse qui montraient que le missile qui avait atterri en Pologne avait été tiré non pas par la Russie mais par les systèmes ukrainiens de défense aérienne. Zelensky, dans une tentative d’impliquer l’OTAN directement dans la guerre, a qualifié alors la frappe du missile comme étant « une attaque russe délibérée contre la sécurité collective dans la région euro-atlantique ».
Commentaire de responsables occidentaux, cités par le Financial Times : « Cela devient ridicule. Les Ukrainiens détruisent notre confiance en eux. Personne ne blâme l’Ukraine, pourtant ils mentent ouvertement. C’est plus destructeur que le missile. »
Biden, refusant toujours de parler à Zelensky, chargea le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan de signifier aux responsables ukrainiens de « faire attention quand ils parlent de l’incident du missile en Pologne. »
Mais les fissures dans les relations euro-américaines sont plus visibles encore. Les dirigeants européens ne ratent plus aucune occasion pour dire tout le mal qu’ils pensent de l’égoïsme, de la voracité et de la cupidité des Etats-Unis. Comment penser autrement quand Washington, après avoir tout fait pour couper toute relation énergétique entre la Russie et l’UE, vend le gaz à celle-ci quatre fois le prix du gaz russe?
De là à parler d’escroquerie, il n’y a qu’un pas que de nombreux Européens ont franchi en pointant des doigts accusateurs vers Washington. Les choses risquent d’empirer avec l’impact de l’installation de l’hiver et les morsures du froid sur l’opinion publique européenne de plus en plus encline à faire assumer ses difficultés à l’obséquiosité qui marque le comportement des dirigeants européens envers Washington.
Des fissures commencent à apparaitre dans les relations inter-européennes aussi, particulièrement entre les trois pays viscéralement antirusses (Pologne, Lituanie, Estonie) et les autres. Outre leurs démangeaisons à franchir les lignes rouges et d’entrainer l’OTAN dans la guerre contre la Russie, ces trois pays frontaliers avec l’Ukraine et la Russie ont contrecarré les travaux de l’UE lors de la réunion du 27 novembre sur le plafonnement du prix du pétrole russe.
C’est que la Pologne, la Lituanie et l’Estonie ne voulaient pas entendre parler de plafonnement à 60 dollars le baril, mais… à 30 dollars. Leur intransigeance a retardé la prise de décision européenne et provoqué agacement et mécontentement du reste des pays membres. Finalement, le prix du pétrole russe a été « fixé » à 60 dollars, décision qui est entrée en application le lundi 5 décembre. A partir de cette date, les Etats-Unis, l’Australie et l’UE « achèteront » donc le pétrole russe à 60 dollars…
Sauf que les Russes sont en train de rire sous cape, car personne ne sait comment tous ces grands défenseurs de « la liberté du commerce » vont obliger la Russie à vendre sont pétrole à un prix fixé par ceux qui désirent sa destruction.
Encore une décision occidentale qui risque de se retourner contre ses auteurs. Car, non seulement la Russie a déjà diversifié ses marchés en se tournant vers les grands consommateurs asiatiques; mais elle serait capable de faire monter le prix du baril jusqu’à 150 ou 200 dollars, si elle décidait de réduire sa production de quelques millions de barils par jour.
Décidément, sous l’intense pression de la guerre d’Ukraine et son impact économique et social, les dirigeants occidentaux ne savent plus à quel saint se vouer.