Lors d’une interview à bâtons rompus avec la journaliste Mariem Belkhadi, Mohamed Abbou, devenu farouche opposant au projet juilletiste, met dos à dos le président de la République Kaïs Saïed et le mouvement islamiste d’Ennahdha et ses nouveaux amis.
Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Tel semble être l’adage qui inspire l’insaisissable Mohamed Abbou, un homme politique jugé par ses adversaires, versatile. N’était-il pas le premier à souffler au président de la République, Kaïs Saïed, l’idée de recourir au fameux article 80? N’a-t-il pas chaleureusement soutenu le coup de force du 25 juillet 2021 avant de négocier un virage à 360° en se transformant en un tenace et farouche opposant à l’actuel locataire du palais de Carthage?
Mohamed Abbou : « Ce n’est pas moi qui ai changé, mais Kaïs Saïed »
A la question posée hier mercredi par l’animatrice de la Matinale, Mariem Belkhadi, sur ses rapports avec le chef de l’Etat, l’ancien ministre qui- se fait rare dans la classe politique tunisienne- avait brutalement et pour des raisons qui demeurent obscures, mis fin à sa carrière politique au lendemain de la chute du gouvernement Elyes Fakhfakh dont il était ministre d’État, chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption. Il a répondu non sans malice : « Ce n’est pas moi qui ai changé, mais Kaïs Saïed. »
« L’activation de l’article 80 était inéluctable »
« J’ai soutenu l’activation de l’article 80 de la constitution de 2014, a soutenu l’avocat et activiste politique qui fréquenta les geôles de Ben Ali, pour faire tomber le gouvernement Hichem Mechichi et geler l’ARP. »
Et d’argumenter : « Sous le gouvernement Mechichi, (du 2 septembre 2020 – 25 juillet 2021 NDLR), la situation politique s’est nettement détériorée avec un gouvernement paralysé par les querelles et tiraillements politiques. De plus, le climat général instable ne permettait plus la reprise des investissements. On ne créait plus de richesses et les hommes d’affaires subissaient le chantage de certains partis politiques, et pas seulement Ennahdha ».
« Kaïs Saïed a apparemment pris goût au pouvoir »
En effet, poursuit l’ancien candidat pour la présidentielle de 2019, « le recours à l’article 80 devenait inéluctable. Pour moi, il s’agissait d’une parenthèse de trois à cinq mois avant de revenir à la normalité constitutionnelle et démocratique. Or, Kaïs Saïed a apparemment pris goût au pouvoir », a-t-il assuré.
Entre temps, avance Mohamed Abbou, en promulguant le décret-loi n° 117 du 22 septembre 2021, deux mois après la proclamation de l’état d’exception, « Kaïs Saïed a accaparé en une seule main tous les pouvoirs ». C’est à partir de cette date que j’ai exprimé des réserves vis-à-vis de son projet politique ».
Revenant sur la nouvelle Constitution adoptée par référendum le 25 juillet 2022 et de la loi électorale et le décret présidentiel n°55 du 15 septembre 2022, l’invité de Maryem Belkhadi estime « que problème ne réside pas dans les textes de loi. On pourra décréter autant de lois que l’on voudra, mais l’on ne changera pas le peuple qui est censé les appliquer ». Or, a-t-il ironisé, « nous n’allons tout de même pas changer de peuple! »
Car pour l’ancien dirigeant d’Ettayar, ni la nouvelle Constitution, ni le changement du régime politique ne changeront le cours des choses. La solution réside dans « la démission ou la destitution de Kaïs Saïed ». Ce dernier, selon lui, « contrôle tout, dispose de tous les leviers du pouvoir ».
Et de conclure, implacable, « le limogeage du président de la République, Kais Saïed, et l’annonce d’élections présidentielles anticipées sont les deux conditions sine qua non pour sauver le soldat Tunisie ».
L’effet contraire de l’épouvantail d’Ennahdha
Changeant son fusil d’épaule, M. Abbou qui occupa le poste de ministre auprès du chef de gouvernement chargé de la Réforme administrative dans le gouvernement de Hamadi Jebali avant de démissionner le 30 juin 2012, s’est violemment attaqué à « certaines parties » qui prétendent aujourd’hui lutter contre le « putsch » de Kaïs Saïed » en les sommant de « se taire ». Car, « Ennahdha et ses acolytes, étant à l’origine de la dégradation de la situation du pays, ne peuvent moralement appeler à la chute de Kaïs Saïed. Pis, ils ne font que soutenir implicitement ce dernier et l’aider à être maintenu au pouvoir ».
« Les dirigeants d’Ennahdha impliqués dans des affaires de corruption devront payer un jour la facture ». Mais, a-t-il déploré, « le Président ne compte pas les sanctionner en raison des pressions internationales exercées contre lui ».
A méditer.