Les activités du chef de l’État se sont intensifiées au cours des derniers jours, coïncidant avec des développements d’ordre politique, économique et social qui semblent être derrière le choix de Kaïs Saïed de retourner sur la scène et d’adresser des messages énigmatiques.
En effet, le Président Kaïs Saïed semble vouloir, par ses multiples déplacements et mouvements, montrer à ses adversaires de l’opposition qu’ils se trompent en misant sur la rue pour marquer des points. Puisque selon ses proches, il continue de bénéficier d’une grande popularité.
D’ailleurs la brève adresse faite par le ministre de l’Intérieur au chef de l’État traduit parfaitement cet esprit. Et ce, en lui disant : « Bonne promenade, Monsieur le Président et Dieu soit loué, le peuple entier est avec vous… »
D’autre part, le Chef de l’Etat a réitéré ses messages concernant la nécessité d’accélérer la concrétisation de la conciliation pénale; mais aussi de poursuive la lutte contre les spéculateurs. Sans oublier sa riposte indirecte au secrétaire général de l’UGTT quant à sa conception de la réalité de l’action syndicale.
Non indirect à l’approche de La Kasbah avec le FMI
Le Président Saïed a voulu dire, à travers ses messages, d’une manière claire quoique indirecte, qu’il est contre toute entente avec le Fonds monétaire international (FMI). Et aussi contre l’approche suivie par le Gouvernement en matière de levée des subventions pour les produits de consommation de base et autres carburants; ainsi que de l’éventuelle privatisation de certaines entreprises publiques.
Ainsi, sans s’être jamais prononcé publiquement sur l’accord obtenu par La Kasbah avec le Fonds, le locataire du Palais de Carthage ne fait rien pour l’y aider. Pire, toutes des déclarations laissent entendre qu’il s’y oppose. Alors que théoriquement et officiellement, il est tenu, selon les exigences du Fond, d’y apposer sa signature.
Autrement dit, on se retrouve devant un dilemme : le chef de l’État signera-t-il l’accord avec le FMI? Ou bien veut-il que son Gouvernement trouve d’autres solutions loin de cette instance financière internationale?
Personne n’est en mesure de répondre à ces points d’interrogation dans le sens où après une bonne période de silence présidentiel, nous somme revenus à la phase où l’on a besoin « d’explicateurs » pour décoder les paroles présidentielles.
Le pourquoi d’une mobilisation présidentielle…
En effet, pourquoi ce retour aux bains de foule, aux visites inopinées aux établissements publics, principalement au siège du département de l’Intérieur. Tout en assurant qu’il s’agit du moyen légal d’imposer l’application des lois et d’éviter toute plongée dans l’anarchie.
L’autre interprétation plausible aux nouvelles apparitions et manifestations présidentielles est celle de vouloir booster l’engouement en faveur des prochaines élections législatives prévues pour le 17 décembre 2022.
Il faut avouer que la coïncidence serait trop bonne pour permettre à Kaïs Saïed de mobiliser ses « troupes ». Et ce, en vue de faire réussir ce rendez-vous électoral auquel il tient énormément, pour se convaincre et convaincre ses rivaux de la justesse de son projet.
Étant sûr de la victoire de ses fans pour élire domicile au Palais du Bardo, le chef de l’Etat cherche, avant tout, à avoir le plus fort taux de participation qui serait, pour lui, le plus important baromètre quant à l’adhésion de la masse à son processus. Déjà que les 30 % de participation au vote pour le récent referendum étaient, à peine, suffisants pour le contenter.
Il faut dire que dans la réalité, nombreux sont ceux qui avaient émis des doutes quant à la véracité de ce taux dans le sens où ils assurent qu’à aucun moment de la journée du 25 juillet, ils n’ont vu de grande foule, de longues files d’attentes ou encore moins des bousculades dans les centres et les bureaux de vote, comme cela avait été le cas en 2011 ou en 2019.
C’est donc dans cet esprit qu’on explique le dernier « forcing » du chef de l’État pour montrer qu’il est plus que jamais présent pour défendre le bon peuple. Même si dans les faits, les choses sont tout autres : manque de pain; rareté des médicaments; absence ou presque de lait; cherté des produits alimentaires; manque de bouteilles de gaz pour les ménagères; et on en passe…
Mais le bon petit peuple, influençable à souhait, croit aux bonnes paroles. Surtout lorsqu’elles proviennent de la bouche de « l’homme propre qui va taper sur les mains des corrompus et des spéculateurs, tout en lui ramenant les milliards engrangés par les gros poissons ».
Entre Carthage et La Kasbah, qui gouverne en Tunisie?
A ce rythme-là, Kaïs Saïed semble sur la voie de réussir la mise en application de son projet dont personne ne parvient à même imaginer le mode d’application sur le terrain. C’est dire le caractère ô combien surréaliste de la situation en Tunisie.
Nous avons, d’un côté, un Président de la République qui détient et dispose, théoriquement et officiellement, de pouvoirs pharaoniques puisqu’il décide de tout, tout seul et grâce à un trait de stylo. Et de l’autre, un Gouvernement qu’il a nommé et pratiquement sans prérogatives, mais qui gère des dossiers engageant la crédibilité et la solvabilité de l’État au sein des instances internationales…
Qui aura le dernier mot entre un Chef de l’État omnipotent et un Gouvernement affaibli, mais qui continue à servir de façade d’un pouvoir qui reste à définir avec précision?
Une troisième composante de taille, mais dont on parle très peu, n’est autre que l’opposition. Or, celle-ci est trop marginalisée à cause de sa dispersion et ses difficultés à peser sur le cours des événements.
Opposition dispersée
Si la gauche est pratiquement inexistante, deux forces cherchent à faire entendre leur voix face au pouvoir, en l’occurrence le Parti destourien libre (PDL) et le Front du salut. Ce dernier est victime d‘une domination suffocante du parti islamiste d’Ennahdha. Telle que cela lui vaut une impopularité mortelle. Sachant que si le processus du 25 juillet a connu tant de succès, c’est plutôt par « répugnance » envers Ennahdha et Al Karama.
De son côté, le PDL d’Abir Moussi a choisi de mener une bataille tous azimuts contre l’Islam politique et contre tous ceux qui refusent d’annoncer clairement et publiquement leur hostilité aux « frérots ».
Que reste-t-il alors? Il y a l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT) dont le secrétaire général, Noureddine Taboubi, vient de se rappeler qu’il a « un rôle politique à jouer et qu’il ne va pas laisser le chef de l’État agir à sa guise ».
Mais jusqu’où peut aller M. Taboubi qui semble vouloir ménager le Chef de l’État et concentrer le gros de ses critiques et reproches sur la Cheffe du Gouvernement. Puisqu’il n’a pas hésité à réclamer un remaniement ministériel, ce que les observateurs considèrent comme l’option la plus facile à suivre dans le sens où l’équipe de La Kasbah constitue le maillon faible de la chaîne que même Kaïs Saïed n’a pas hésité à critiquer la gestion des affaires du pays.
En tout état de cause, les différents protagonistes en place sont appelés, tôt ou tard, à trancher dans un sens ou dans l’autre pour le bien de l’avenir de la Tunisie…