Un scrutin au dessus de tout soupçon, c’est du moins ce que confirme l’ISIE, qui ne cesse de le crier sur tous les toits. Et ceci depuis le décret qui fixe les règles du jeu électoral. Il est vrai qu’il y va de l’avenir de ses membres, attaqués de toutes parts et soupçonnés de magouilles partisanes.
Pourtant il y a eu d’abord la publication au JORT, après les délais légaux, et même après la tenue du référendum du 25 juillet 2022, du décret fixant les modalités de ce scrutin. Ce qui met en cause la régularité de tout le processus et qui en dit long sur la nature de cette institution.
Il y a eu ensuite le nombre exorbitant des parrainages nécessaires à l’habilitation à l’investiture. A tel point que KS a promis de corriger le décret vers plus de souplesse, sans oser le faire. Le résultat est que le nombre de prétendants à la course à la députation a énormément rétréci par rapport aux précédentes élections législatives. Ils ne sont plus que 1050. Sachant que dix circonscriptions se retrouvaient sans candidats, sept autres avec un candidat unique. C’est certainement inédit dans l’histoire des élections dans le monde. Encore une prouesse à inscrire au compte d’une révolution.
L’art de rater un scrutin
Et puis, surtout, il y a eu la fameuse affaire d’un de ses membres, dument désigné par le Président de la République, Sami Ben Slama pour ne pas le nommer. Puisque celui-ci a été scandaleusement empêché de participer aux réunions et même d’accéder aux bâtiments. Allant jusqu’à lui refuser son salaire et lui retirer la voiture de fonction par la police.
Au fait, l’ISIE ou son président s’est octroyée toute seule le droit de changer sa propre composition; au mépris de toutes les lois. Et surtout, elle s’est octroyée un droit que seul le Président de la République possède légalement, selon le décret qu’il a institué. Ce n’est pas que Sami Ben Slama soit un saint; mais son crime supposé, lui qui est connu pour son franc parler et être un fervent défenseur de KS, avant de rejoindre la cohorte des anciens soutiens qui sont devenus des virulents opposants, est de ne pas garder sa langue dans sa poche. Alors Kaïs Saïed a-t-il préféré sacrifier un de ses nominés pour plaire à l’ISIE? Selon Sami Ben Slama l’ISIE ne roule pas pour KS; mais alors pour qui roule-t-elle? Pour le peuple diront ses défenseurs!
Pour qui roule l’ISIE?
L’on a su grâce à KS lui-même que l’ISIE, anciennes versions, n’était pas aussi neutre que certains novices en politique le croyaient fermement. La Cour des comptes et les tribunaux ont confirmé ce fait. Il n’y a donc aucune raison de croire que cela a changé depuis. Et ce n’est pas le limogeage justifié de l’ancien président de cette instance qui n’était qu’un fervent nahdhaoui en puissance qui va changer quelque chose à cette réalité. Rappelons que la plupart des membres ont été reconduits et que son actuel président ne se prononça jamais sur les dérives passées.
La multiplication des fautes et des maladresses de cette censée vénérable institution, nous pousse à nous poser interroger sur la réelle indépendance de l’ISIE. Tout ce qu’elle fait ne peut que jeter le doute sur la crédibilité des élections; indépendamment de la question de fond qui est celle de la légitimité. La crédibilité n’est pas forcément la légalité que d’ailleurs l’ISIE transgresse allègrement d’une façon parfois criarde. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas bon pour KS lui-même.
Haica vs ISIE
Ainsi, sa dernière trouvaille fut de s’octroyer les prérogatives de la HAICA, le temps des élections. Bien que celle-ci non plus n’ait jamais brillé par sa neutralité. Logiquement, en l’absence de parlement, un décret présidentiel aurait suffi pour transférer une partie de ses pouvoirs momentanément à l’ISIE. Encore une fois KS se tait et a laissé faire. Du coup on a deux institutions rivales qui rivalisent à se faire mal, au grand désarroi des patrons des médias. Certains, il faut le dire, choisissent entre deux maux. L’affaire est portée même devant le tribunal administratif. Mais entretemps, le porte-parole de l’instance élective est sur tous les plateaux et les médias ne savent plus à quels saints se vouer. Sans parler des accusations lancées par les uns et les autres de saboter les élections. Sachant que ces deux instances sont rangées politiquement dans le camp de KS parce qu’elles sont au cœur des élections. Ou du moins c’est ce que proclament les différentes oppositions. Un spectacle qu’on aurait pu éviter moyennant un arbitrage facile. Ce qui augmente par ailleurs les doutes sur la crédibilité du scrutin.
Crédibilité politique et légalité
Ce qui est crédible n’est pas toujours légal et ce qui est légal n’est pas toujours crédible. L’histoire l’ayant déjà démontré à plusieurs reprises dans notre pays. Il est courant que le mot légitimité soit traduit par « char3iya ». Or ce mot renvoie à la chari3a et non pas à la loi positive. Tout se passe chez nous comme si la légitimité équivaut, ce qui est faux, à la légalité. Totalement faux! Mais la crédibilité politique échappe évidemment à ces deux concepts. Car la politique, ou l’art de gérer la cité, transcende et la légalité et la légitimité. L’on dirait même qu’elle n’en a que faire quand elle est puissante.
Kaïs Saïed, après le coup de force, illégal et illégitime d’après ses opposants, aurait pu jouir de la crédibilité politique. Ce qu’il exprime gauchement par son slogan favori, « Le peuple veut ». Or, ce sont les élites qui accordent la crédibilité politique et celles-ci qu’elles soient dans les partis ou indépendantes se liguent actuellement contre lui. Et donc par ricochet contre son référendum et ses élections, dans une veine tentative de le faire reculer.
A cet égard, les partis qui appellent au boycott, par exemple, ne le font pas parce qu’ils redoutent d’échouer. Mais pour ne pas donner de la crédibilité au scrutin, donc à KS lui-même. Par exemple, le PDL aurait pu rafler un nombre important de sièges, sinon la majorité; de même pour les islamistes, quoique largement affaiblis. Ils sont tous en guerre contre KS, non seulement parce qu’ils le considèrent comme un usurpateur et en contrepartie il les considère comme des traîtres à la nation. Mais aussi parce qu’il jouit d’une popularité certaine. Alors ils ciblent sa crédibilité politique, qui s’érode à cause des maladresses et des erreurs qu’il multiplie.
Des législatives en demi-teinte
A l’évidence KS n’a pas lu Hegel, qui dans sa définition de la société civile la considère comme étant la partie qui accorde la légitimité au pouvoir en place. D’où la nécessité des partis politiques, comme forme d’organisation de l’élite politique, qui aspire par définition à prendre le pouvoir ou du moins le contrôler.
A quelques jours du scrutin, rien ne ressemble chez nous à une fièvre électorale. Une ambiance morose, aggravée par la victoire du Maroc pour la demi finale de la Coupe du Monde. Car les Tunisiens préfèrent regarder les prouesses footballistiques des Lions de l’Atlas qu’écouter les discours médiocres de nos candidats sur les quelques chaînes publiques, radios et tv.
Enfin, on peut aussi dire que l’argent ne coule pas à flot dans cette campagne aussi sobre que folklorique. Les slogans sont à pouffer de rire. Ce qui fait la joie des internautes qui cassent du sucre (pourtant toujours absent des étalages des magasins) sur le dos des pauvres candidats. On peut affirmer sans hésitation que c’est la plus mauvaise des campagnes électives depuis l’indépendance. Sans parler de l’absence quasi complète de débats politiques autour de ce scrutin. Mais il faut raison garder et attendre les futurs députés pour juger de leur qualité intrinsèque. On a les députés qu’on mérite grâce à la démocratie par le peuple et pour le peuple. Le spectacle, façon grand humour, est devant nous. Soyons patients!