Dans une déclaration accordée à L’Economiste Maghrébin, l’enseignant-chercheur en droit public et sciences politiques, Khaled Dabbabi est revenu sur les élections législatives anticipées qui se tiennent aujourd’hui 17 décembre.
Pour Khaled Dabbabi, plusieurs points peuvent être soulevés. Le premier point est relatif au taux de participation. Il s’interroge si ce taux sera important ou faible notamment en comparaison avec les taux de participation aux législatives de 2014 et 2019. Dans le même sillage, il rappelle que la nouvelle loi électorale n’a pas prévu de quorum pour le taux de participation. « D’un point de vue légal, le taux de participation importe peu mais il est important au niveau de la légitimité du prochain parlement. Car un parlement élu par une minorité du peuple tunisien sera un parlement faible dépourvu d’une assise démocratique et populaire importante », explique-t-il.
Le spécialiste considère qu’il est légitime de se poser des questions sur le nouveau paysage politique après la mise en place du nouveau parlement « si on peut appeler encore cela paysage politique surtout que plusieurs partis politiques ont boycotté les élections. Avec le mode de scrutin choisi à savoir le scrutin uninominal, il s’agira d’un parlement effrité qui risque de ne pas pouvoir travailler réellement. A partir de ces candidatures effritées comment pourrait-on constituer des blocs parlementaires ? Comment peut-on travailler en harmonie ? Peut-être que le critère de démarcation entre gouvernement et opposition serait le soutien des projets de loi de la présidence de la République », nuance-t-il.
Un parlement efficace ?
Khaled Dabbabi considère qu’il existe des doutes concernant la capacité du parlement à travailler en harmonie selon une logique rationalisée parlementaire à savoir bloc et structures etc.
M. Dabbai rappelle l’existence de la technique de révocation de mandat, prévue par la loi électorale qui va fragiliser, encore, le statut de député. Cette technique appelée également la technique d’école, est une première dans l’histoire politique et constitutionnelle en Tunisie.
Cette technique existe bel et bien dans certains Etats fédérés des États-Unis d’Amérique. « Elle sera comme l’épée de Damoclès qui risque de se transformer en arme de guerre. Le député qui ne se conforme pas à la politique tracée par l’exécutif risquerait de perdre son statut de député et son siège via cette technique », explique-t-il.
Député des électeurs ou député de la nation ?
Les électeurs de la circonscription du député peuvent révoquer le député, par le biais d’une pétition signée. « Le député est responsable devant les électeurs de sa circonscription électorale », explique-t-il.
Pour le constitutionaliste, il s’agit d’un paramètre très dangereux car « la logique du régime représentatif insiste sur un point très important : certes le député est choisi par les électeurs d’une circonscription, mais suite à son élection, il devient le député de la nation. Certes il va prendre en considération les intérêts locaux de sa circonscription électorale mais l’intérêt national doit toujours prévaloir sur les intérêts spécifiques. Par la technique de la révocation on est entrain de créer un député de la circonscription et non pas un député de la nation. Ainsi, on est entrain de diviser politiquement le territoire tunisien. C’est comme si chaque circonscription nationale était un Etat qui a sa propre logique, ses propres intérêts et sa vision indépendante de la chose publique. Cela va même contre même du principe de l’indivisibilité et l’intégrité du territoire. ».
Vers l’affaiblissement du statut de députés
Khaled Dabbabi affirme que cette technique va affaiblir le statut des députés surtout que la constitution et la loi électorale n’ont pas précisé clairement les conditions du recours à la technique de révocation.
« Ce caractère vague et peu précis des conditions risquerait de transformer cette technique-là d’une technique de responsabilisation du députés devant ses électeurs à une carte de pression pour assurer une certaine discipline et une certaine adoption forcée des directives et des instruction de l’exécutif par les députés ».
Et de rappeler que le président de la République est épargné de cette technique-là « pourtant dans d’autres expérience cette techniques est valables pour toutes les institutions de l’Etat », conclut-il.