Son âge n’est pas loin de cent ans. Pourtant l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger est encore lucide. Très conscient (une exception pour son âge) de la montée des périls et des risques de guerre entre les deux plus grandes puissances nucléaires, il vient de renouveler sa proposition de mai dernier pour une solution à la guerre d’Ukraine.
Dans un article publié le 17 décembre dans le magazine britannique en ligne, The Spectator l’ancien secrétaire d’Etat propose la tenue de « référendums sous contrôle international » dans les zones contrôlées par la Russie. « Il est temps de prendre en compte les changements stratégiques qui ont déjà été accomplis et de les intégrer dans une nouvelle structure pour parvenir à la paix par la négociation », écrit H. Kissinger.
En mai dernier déjà, il a fait une proposition qui lui a attiré l’ire des faucons de l’Establishment à Washington et de la classe politique à Kiev. Les uns et les autres étaient furieux d’entendre l’ancien faucon de l’administration Nixon proposer aux dirigeants ukrainiens d’oublier tout d’abord la Crimée « historiquement russe », et ensuite de « renoncer à une partie de leurs terres en échange de la paix ». Sans surprise, le vieillard subit alors un véritable lynchage de la part des dirigeants ukrainiens et des partisans de la guerre à outrance contre la Russie qui pullulent à Washington.
Dans son article dans le magazine britannique du 17 décembre, Kissinger conseille aux partisans de la guerre à outrance en Ukraine de ne pas répéter les erreurs fatales qui ont conduit au premier conflit mondial au début du siècle dernier dont les victimes se comptent en millions. Que faire alors? Pour l’ancien secrétaire d’Etat, « si le retour à la situation d’avant-guerre qui prévalait entre l’Ukraine et la Russie ne peut être assuré ni par le combat ni par la négociation; alors le recours au principe d’autodétermination pourrait être exploré. Des référendums sur l’autodétermination pourraient être organisés sous contrôle international dans des territoires conflictuels qui ont changé de mains à plusieurs reprises au cours des siècles », a-t-il écrit.
Il estime que l’idée d’« affaiblir la Russie par la guerre » n’a pas de sens. « Malgré toute sa propension à la violence, la Russie a apporté des contributions décisives à l’équilibre mondial et à l’équilibre des pouvoirs pendant plus d’un demi-millénaire. Son rôle historique ne doit pas être sous-estimé », insiste Kissinger.
En 2014, après le coup d’état fomenté par l’administration Obama pour attirer l’Ukraine dans le camp occidental, Kissinger avait déjà conseillé Washington d’adopter « une attitude amicale envers la Russie ». Car expliquait-il alors, « si l’Ukraine voulait survivre et prospérer, elle devrait fonctionner comme un pont entre la Russie et l’Occident. »
Au lieu d’écouter cette voix de la sagesse, les administrations américaines successives ont choisi de faire de l’Ukraine une base militaire pour affaiblir la Russie. Washington a même imposé à ses alliés européens cette politique qui ne va pas tarder à s’avérer désastreuse pour l’économie et la paix mondiales.
Les accords de Minsk, un paravent
On en veut pour preuve les révélations consternantes de l’ancien président ukrainien Petro Poroshenko et de l’ancienne chancelière allemande, Angela Merkel au sujet des accords de Minsk.
En mai 2022, M. Porochenko a déclaré au Financial Times qu’ « en 2014 l’Ukraine n’avait pas du tout de forces armées. La grande réussite diplomatique des accords de Minsk était de nous permettre de garder la Russie à distance, le temps de bâtir une armée forte. »
Cette révélation de Petro Porochenko a récemment été confirmée par l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel. Dans une interview publiée le 1er décembre par Der Spiegel, Madame Merkel a affirmé que « les pourparlers de Minsk (auxquels elle avait activement participé) ont fait gagner du temps à l’Ukraine pour mieux se préparer à repousser une attaque russe. Maintenant l’Ukraine est un pays fort. À l’époque (en 2014), il aurait été facilement envahi par les troupes de Poutine. »
Une semaine plus tard, l’ancienne chancelière allemande persiste et signe dans une interview à Die Zeit. « L’accord de Minsk était une tentative de donner du temps à l’Ukraine pour devenir plus forte. Comme vous le voyez, l’Ukraine de 2014 et 2015 n’est pas l’Ukraine d’aujourd’hui. »
Face à de telles révélations consternantes, Vladimir Poutine ne peut pas ne pas regretter de s’être laissé berner pendant les années de négociation des accords de Minsk. Dans une rencontre le 25 novembre avec les mères de soldats au front, Poutine a reconnu son erreur. « Les républiques du Donbass auraient dû rejoindre la Russie plus tôt. Cela aurait réduit le nombre de morts parmi les civils et nous aurions perdu beaucoup moins d’enfants… ».
Pourtant, nombre de ses collaborateurs lui avaient conseillé de battre le fer tant qu’il était chaud. C’est-à-dire d’annexer les républiques du Donbass dans la foulée de l’annexion de la Crimée. Il avait refusé, pensant toujours qu’il pourrait régler le problème par la négociation.
Mais l’Occident persiste à nous faire croire sérieusement que Poutine s’est réveillé le 24 février 2022 de mauvaise humeur et a décidé de déclarer la guerre à l’Ukraine…