Commentant le mandat de dépôt à l’encontre du vice-président du mouvement islamiste Ennahdha, Ali Larayedh, son avocat Maître Samir Dilou estime que « la plainte est tendancieuse et l’affaire est politique ». C’est de bonne guère puisque l’arrestation de l’ancien chef du gouvernement s’est opérée juste après le scrutin législatif. De quoi semer le doute sur la concomitance du temps judiciaire avec le temps politique.
Et bis repetita. Déjà auditionné le 19 septembre 2022 dans le cadre de l’affaire dite des réseaux d’embrigadement des jeunes et leur tasfir aux foyers de tension, Ali Larayedh, 67 ans, ancien ministre de l’Intérieur puis chef du gouvernement entre 2011 et début 2014, était placé en garde à vue par le juge d’instruction près le Pôle judiciaire antiterroriste, avant d’être remis en liberté trois jours plus tard.
Sauf que cette fois-ci, le vice-président du parti islamiste Ennahdha n’a pu échapper aux mailles du filet judiciaire. En effet, il fut interrogé, lundi 19 décembre de 10h du matin jusqu’à une heure tardive de la nuit par le juge d’instruction du bureau 12 du Pôle judiciaire antiterroriste, qui décida d’émettre un mandat de dépôt à son encontre.
KS a « passé sa colère » sur Ali Larayedh
Commentaire à chaud du gendre de Ghannouchi, Rafik Abdessalam, grand défenseur de la veuve et de l’orphelin. Ainsi, il cherche à prouver que le procès du dirigeant nahdhaoui est d’ordre politique. « Le locataire de Carthage étant en grande difficulté après que le peuple l’a rejeté, a passé sa colère contre l’ancien Premier ministre, le militant acharné, l’ingénieur Ali Larayedh ». C’est ce qu’on peut lire dans un post publié le 19 décembre sur sa page.
« Le pouvoir cherche à couvrir l’échec cinglant du scrutin »
Mêmes arguments, mêmes angles d’attaque de la part du mouvement Ennahdha qui s’empressa dans la nuit de lundi à mardi 20 décembre 2022, de commenter le mandat de dépôt émis contre son vice-président Ali Larayedh. En estimant que la décision du juge d’instruction est une « tentative désespérée du pouvoir en place de camoufler l’échec cuisant des législatives boycottées par 90 % des électeurs ».
Pour Montplaisir, les dirigeants d’Ennahdha « n’avaient aucun lien avec cette affaire; les dossiers montés et fabriqués à leur encontre ne sont qu’un moyen de pression sur l’opposition ». Laquelle « rejette le putsch de Kaïs Saïed ».
« Le fait de viser ses dirigeants et l’ensemble des opposants, ne va pas améliorer leur quotidien et ne règlera pas les problèmes de la pénurie des produits alimentaires et les prix qui s’enflamment, c’est une manière de faire diversion et de couvrir l’échec ». C’est ce qui ressort du communiqué rendu public, dans la nuit de lundi à mardi 20 décembre 2022.
Les opposants? « Des prisonniers de guerre »
Jouant la même partition, Samir Dilou, activiste politique et membre du collectif de défense d’Ali Larayedh, a pointé du doigt le « caractère politique » de cette affaire. « La plainte est tendancieuse et l’affaire est politique », a-t-il affirmé mardi 20 décembre sur les ondes de Jawhara FM.
Abordant l’aspect juridique de cette affaire, notamment la « rétroactivité des lois, Maître Dilou s’est interrogé : « Les événements d’envoi vers les zones de conflit remontent à 2012 et 2013. Or, la loi relative à la lutte contre le terrorisme est entrée en vigueur en 2015. Y-a-t-il une loi qui s’applique d’une manière rétroactive? » Ainsi ironise-t-il. Et de conclure : « Le pouvoir actuel est en guerre avec l’opposition; ceux qui sont visés, sont des prisonniers de guerre ».
Diversion
De son côté, Ahmed Néjib Chebbi, dirigeant du Front du salut national, principale coalition d’opposition à Kaïs Saïed, a indiqué que l’arrestation du vice-président d’Ennahdha « vise à faire diversion ». Et ce, suite à « la déception des élections législatives qui se sont déroulées; alors que la Tunisie est en isolement international ».
Lors d’une conférence de presse tenue hier mardi par le FST, M. Chebbi, qui roule désormais ouvertement pour Ennahdha, estime que l’arrestation d’Ali Larayedh « est le premier pas d’une campagne visant les figures politiques du premier rang ».
Une justice jugée… selon les circonstances
Enfin, lors de la même conférence de presse, le porte-parole d’Ennahdha, Imed Khemiri, n’a pas manqué de qualifier cette affaire d’« injuste et de montée de toutes pièces. D’autant que les juges qui en sont saisis subissent des pressions continues ».
Ah bon? Rached Ghannouchi, n’avait-il pas déclaré lui-même, le 19 juillet 2022, à l’issue de sa mise en état de liberté dans le cadre de l’affaire Namaa Tounes, que la justice, à l’instar l’institution sécuritaire et militaire a « aujourd’hui prouvé son indépendance étant neutres et pas à la solde d’un gouvernant ».
Les islamistes qui manient à la perfection l’art cynique du double langage auraient-ils changé d’avis quand l’un des leurs fait l’objet est tombé sous le couperet de la même justice qui a « prouvé son indépendance ». Dixit M. Ghannouchi?