Le rideau est tombé sur le premier tour des élections législatives anticipées d’un genre nouveau. Sans éclat, sans surprise et sans véritables enjeux en termes de séparation et d’équilibre des pouvoirs.
Au final, on verrait une Chambre tronquée, éclatée, portée par une minorité d’électeurs, et sans doute le taux de participation le plus bas jamais enregistré. 11,22% de votants, un désaveu sans appel non sans conséquences politiques. Avis de tempête à l’horizon. Autant signifier que le vrai pouvoir de légiférer sera l’apanage de la rue. Triste perspective ! Une campagne pour rien, stérile, sans débat, d’une indigence et d’une médiocrité inouïes. Dans la série des rendez-vous manqués, elle tient le haut du pavé. A se demander : des députés pour quoi faire ? Leurs programmes relèvent de simples prérogatives de maires. Leurs attributions ne vont pas plus loin que le périmètre communal quand il ne s’agit pas de quartiers sous haute tension, privés de tout et envahis de déchets et d’ordures ménagères.
Le nouveau mode de scrutin « particide » a changé la donne
A qui la faute ? Le nouveau mode de scrutin « particide » a changé la donne et tiré vers le bas le statut du Parlement. Il a mis sous le boisseau les partis politiques. Ceux qui comptent – dans les sondages d’opinion tout au moins – ont appelé au boycott. Et ôté du coup aux candidats déclarés toute représentation, compétence et ambition nationales. Ces derniers avaient les yeux rivés sur le guidon, avec au mieux, pour seul horizon, les limites de leur circonscription. Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt, dit le dicton. Cette triste image a émaillé cette campagne. Le fait est qu’il n’y a pas de lune en vue, mais une foule de doigts qui s’agitent dans tous les sens. A croire que les nouveaux députés se sont trompés d’élection. Le pire est à craindre…
L’élite patronale ne tient plus sur place, désemparée, chargée de tous les maux
Les partis politiques, farouches opposants du système mis en place par le Président Kaïs Saïed, ne désarment pas, au risque d’ajouter de la crise à la crise. Ironie du sort, les syndicats ouvrier et patronal n’en ont cure de ces élections. Ils ont d’autres motifs de préoccupation. Le premier se dresse contre la hausse des prix, la dégradation du pouvoir d’achat, fortifie ses lignes de défense pour protéger son sanctuaire : Fonction publique et entreprises publiques. Ultime concession : un simple ravalement de façade, sans toucher aux structures qui menacent, du reste, de s’effondrer. Le second ne sait plus où donner de la tête, pris en otage, sans vrais moyens de défense, victime de courants d’air dévastateurs et d’une tornade fiscale qui vont emporter ce qui reste de ses illusions. L’élite patronale ne tient plus sur place, désemparée, chargée de tous les maux, suspectée de pratiques monopolistiques, voire répréhensibles, traitée de rentière quand elle n’est pas stigmatisée, diabolisée et désignée à la vindicte populaire, objet d’un lynchage politique aux conséquences funestes pour l’économie nationale, déjà au plus mal.
un débat d’une autre époque
Les partis politiques, en rupture de ban, les corps constitués, les activistes de la société civile se sont approprié, par la force des choses, le débat qui aurait dû animer la campagne électorale, sans réussir à le sortir des sentiers battus, sans baliser les voies du futur et sans rien qui puisse répondre aux attentes d’une économie en mutation et des jeunes générations : un débat d’une autre époque, quoique nécessaire, focalisé pour l’essentiel sur le programme des réformes présentées – sans succès – au FMI et voué aux gémonies par la centrale ouvrière, une large frange d’intellectuels bien-pensants et des têtes couronnées.
On voudrait de son argent, mais pas d’exigences dont il se défend lui-même. On s’enflamme au sujet des réformes, pourtant seule planche de salut national. Chaque corporation les veut à sa manière, à sa convenance, sur mesure, pour préserver rentes de situation et zones de confort. Et ne pas déroger, au final, au statu quo et à des pratiques éculées au coût exorbitant pour la collectivité. On n’arrête pas de gesticuler, de se quereller à propos de problèmes qui ne sont plus de notre temps, de maux hérités de l’ancien monde, qui se sont métastasés au fil des ans jusqu’à devenir incurables pour n’avoir pas été traités à temps.
Réussira-t-on à dégraisser le mammouth administratif?
Réussira-t-on à dégraisser le mammouth administratif, à contenir les salaires de la Fonction publique dans des limites tolérables du PIB ? Parviendra-t-on, ce qui est peu probable, à transformer les entreprises publiques devenues de véritables machines à déficit et de destruction de valeur ? Aurons-nous suffisamment de sagesse pour faire bouger les lignes et tempérer progressivement les dépenses de subvention de la CGC, aujourd’hui insoutenables ?
Le monde d’après-Covid n’est plus ce qu’il était
Réussira-t-on à intégrer tout aussi graduellement les évadés fiscaux et les forfaitaires ? Cela ne nous place pas pour autant sur une véritable orbite de redressement, d’émergence économique et financière. Ces réformes, pour utiles et impératives qu’elles soient, ne peuvent tenir lieu d’une vision prospective et moins encore d’une véritable stratégie de développement. Réussira-t-on à colmater les avaries d’un navire en déperdition, stopper l’hémorragie des finances publiques exsangues, qu’il restera à définir les nouvelles voies de notre insertion dans l’économie monde. Il faudra, dans ces conditions, une vision rénovée d’un futur qui ne serait pas une simple projection du passé, voire du présent. Le monde d’après-Covid n’est plus ce qu’il était. Jour après jour, on assiste à une redistribution des cartes à l’échelle planétaire, à une reconfiguration et à un redéploiement des chaînes de valeur, des filières et des process de production.
La révolution technologique s’emballe
Les nouveaux foyers de croissance sont déjà à l’œuvre ou en voie d’émergence. La révolution technologique s’emballe, les transitions numérique, énergétique et environnementale balisent les voies de l’économie du savoir, nécessairement décarbonée. Où en sommes-nous des métiers de demain qu’il aurait fallu préparer tout au long d’une décennie pour rien ? Le présent nous interpelle déjà dangereusement pour n’avoir pas pensé et envisagé le futur qui nous échappe.
Fini le temps de l’errance, du désœuvrement et de l’irresponsabilité politique
Dans le tourbillon des bouleversements et des mutations technologiques, nous nous sentons exclus, en marge des transformations qui structurent et dessinent les cartes économiques d’un monde en devenir. Fini le temps de l’errance, du désœuvrement et de l’irresponsabilité politique. Devant le danger imminent de faillite financière et de naufrage économique, nous avons l’obligation – au-delà des nécessaires réformes – de redéfinir nos nouvelles lignes d’avantages compétitifs. Et de nous réapproprier l’espace industriel et productif qui doit être le nôtre. Davantage que de moyens financiers, nous avons besoin de vision, de volonté, de stratégie, de leadership et d’une gouvernance politique digne de ce nom. Sinon, demain sera pire qu’aujourd’hui. Et ce n’est pas peu dire.
L’édito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin N° 859- du 21 décembre 2022 au 4 janvier 2023