Le communiqué publié récemment par la chambre syndicale des centres d’hémodialyse sonne l’alarme d’une situation très grave d’un secteur vital à bout de souffle. Arriver à jeter l’éponge et à décider d’arrêter toute activité ne peut traduire qu’une grande détresse et l’absence de porte de sortie.
Même si la menace d’arrêt de toute activité en dehors des urgences brandies par la chambre syndicale des centres d’hémodialyse peut n’être qu’un signal d’alarme pour faire réagir l’opinion publique et amener la CNAM à respecter son engagement de réviser de façon sérieuse et responsable le forfait initialement consenti ; il est inacceptable de laisser pourrir la situation en prenant les patients en otage. De plus, il est encore moins tolérable de jeter la responsabilité sur les médecins hémodialyseurs dont la rémunération n’est que de sept dinars par séance soit 6% du forfait.
La CNAM est censée prendre en charge à 100% les séances d’hémodialyse
Les négociations entre la chambre syndicale des centres d’hémodialyse et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie(CNAM) semblent être dans l’impasse dans la mesure où la Caisse s’obstine à refuser de voir la réalité en face et à adapter en conséquence le montant forfaitaire qu’elle est tenue de reverser au centre d’hémodialyse pour chaque séance réalisée. La CNAM est censée prendre en charge à 100% les séances d’hémodialyse sur un montant forfaitaire qui devrait être révisé périodiquement de façon consensuelle. Cette révision tarde à venir malgré les appels insistants et itératifs des professionnels qui n’arrivent plus à supporter les pertes liées au gap de plus en plus important qui a atteint 65 dinars entre le coût réel d’une séance d’hémodialyse fixé par le ministère de la santé à 180 dinars et le montant forfaitaire alloué par la CNAM. Cette différence représente près du tiers du coup réel que les centres d’hémodialyse font passer à pertes et profits alourdissant de façon drastique leurs charges et leur ardoise. La pérennisation de la situation aboutira inéluctablement à la fermeture des centres les uns après les autres déclarant leur faillite comme c’est le cas du centre d’hémodialyse de Sbeïtla la semaine dernière.
La CNAM semble ne pas apprécier, à sa juste valeur
À la vue de cette attitude négative, la CNAM semble ne pas apprécier, à sa juste valeur, l’énorme service de santé publique que rendent les 116 centres d’hémodialyse du secteur privé répartis sur l’ensemble du territoire national offrant 1810 machines d’hémodialyse soit trois fois plus que n’offre l’ensemble des 52 unités du secteur public. La répartition des machines sur le territoire est toutefois très inéquitable avec un rapport de 10 contre 1, entre le Grand Tunis doté de 591 machines réparties sur 36 centres privés, et la région du Sud Ouest qui regroupe les trois gouvernorats de Gafsa, Kébili et Tozeur qui n’offre à ses patients que 58 machines réparties sur 5 centres seulement.
« Le nombre de machines fonctionnelles dans le secteur privé a baissé de 16.6% entre 2019 et 2021 »
Vu la situation économique des centres d’hémodialyse, le coût de plus en plus exorbitant de la maintenance et celui du renouvellement encore plus inaccessible, le nombre de machines fonctionnelles dans le secteur privé a baissé de 16.6% entre 2019 et 2021 en passant de 2170 à 1810, soit la perte d’une machine sur 6 en l’espace de deux ans. Or cette perte de machine et donc cette baisse de l’offre ne s’arrêtera pas tant que la situation économique des centres d’hémodialyse ne s’améliore pas.
Il serait irresponsable de voir agoniser ce secteur sans réagir, carcela y va de la vie de nos patients. La CNAM devrait intégrer dans ses argumentaires décisionnels, que tout en étant un tiers payant, elle agit dans le secteur de la santé où la vie du patient est en jeu et que la santé a certes un coût mais elle n’a pas de prix ! Par ailleurs, l’argent dont elle dispose n’est autre que l’argent de ces mêmes patients qui demandent à être soignés dignement et en toute sécurité.
Deux scénarii semblent se profiler
Deux scénarii semblent se profiler. Le premier, le plus catastrophique, inacceptable résultat d’un statu quo qui aboutit à la fermeture, non pas par décision de la chambre syndicale mais en raison d’une faillite pure et dure des centres les uns après les autres. Cette situation cauchemardesque fera qu’au bout du compte les trois quarts des patients nécessitant une hémodialyse soit environ 8000 patients se trouveront devant les portes des unités hospitalières d’hémodialyse qui ne pourront, de toutes les façons pas les absorber par manque de machine et de personnel soignant. Cette situation dangereuse et non éthique ne peut en aucun cas être justifiée et encore moins, pardonnée. N’oublions pas aussi les milliers de personnels soignants qui vont se retrouver, du jour au lendemain, sans emploi.
Le second scénario pourrait paraître acceptable à première vue. Une solution adoptée à chaque fois que la CNAM n’arrive plus à assurer une prise en charge intégrale des actes. La prise en charge devient partielle et le patient est mis à contribution pour combler le déficit. Cette solution a déjà été adoptée quand, après de longues années de négociations infructueuses, les actes de chirurgie cardio-vasculaires sont devenus partiellement pris en charge par la CNAM qui débourse quelque soit l’acte 10 000 dinars et le patient se voit obliger de contribuer, en moyenne, à hauteur de 7000 dinars, voire plus, en fonction de la nature de l’acte, de sa complexité et du matériel prophétique utilisé. Dans le cas d’espèce, et si nous considérons la différence de 65 dinars entre le montant alloué par la caisse et le coût réel de la séance, et si nous comptons deux séances par semaine ce qui est le nombre minimum de séances d’hémodialyse par semaine le patient aura à débourser au minimum 520 dinars par mois.
Jusqu’à quel point pouvons-nous accepter une médecine à deux vitesses ?
Cette somme est totalement inacceptable, de plus elle risque d’augmenter en fonction du nombre de séances supplémentaires qui pourraient être nécessaires et le coût du consommable qui va certainement augmenter d’année en année. L’entre aide familiale a ses limites et elle s’essoufflera très rapidement avec des risques de situations financières catastrophiques. Jusqu’à quel point pouvons-nous accepter une médecine à deux vitesses ? Au cas où cette solution est la seule entre nos mains, quel est le plafond acceptable du ticket modérateur ? Qui prendrait en charge le gap résiduel ?
La crise par laquelle passe l’activité de l’hémodialyse semble ne pas être la seule dans le secteur de la santé après l’annonce par l’observatoire national des médicaments du manque de 300 types de médicaments sans préciser le nombre réel de médicaments vitaux non disponibles ni même les échéances de leur disponibilité.
La médecine Tunisienne est réputée pour la compétence de ses médecins et la qualité des soins prodigués. Comment accepter de voir cette réputation, bâtie sur des décennies, s’effriter en raison d’une mauvaise gouvernance qui érode le secteur depuis la dernière décennie. Il est temps de réagir et d’implémenter les solutions que plusieurs ont proposé.
Pour ma part, je m’y engage car j’y crois fermement.
Par Dr. Nazih Zghal