Pourquoi moins d’un million de Tunisiens se sont-ils déplacés pour aller voter ce Samedi 17 Décembre, afin de choisir leurs représentants? Il y a plusieurs raisons, mais j’ai trouvé que Tahar Benjelloun les résumait très bien : « Être député ou ministre n’est pas une promotion de son égo, c’est un travail comme un autre, avec davantage de responsabilités. Or chez nous, nombreux sont ceux qui deviennent député ou ministre en vue de faire fructifier leurs affaires privées et oublient simplement leurs devoirs… La notion du service public n’a pas été intégrée dans leur logiciel de vie. C’est pour cela que le peuple ne croit plus aux politiques et ne se déplace presque plus pour voter. La démocratie est une culture, or elle est trahie tout le temps».
J’aurais aussi pu poser la question différemment : pourquoi 9 Tunisiens sur 10 ne sont pas allés voter ? Cette question posée ainsi donnerait-elle une autre perspective au séisme qui s’est produit ce 17 Décembre ?
Pour avoir la réponse, j’ai décidé de m’enquérir auprès de certains jeunes qui n’avaient raté aucune des dernières élections et avaient même voté pour le président de la République. A la question de savoir ce que ces élections ont représenté que j’ai posée à une jeune femme d’une trentaine d’années, elle me répond tout de suite : « C’est le début de la fin » ! Alors j’ai demandé à un autre jeune, pourquoi, cette fois-ci il avait boudé les élections ? Il me répondit : « Quelles élections, je n’ai aucune idée sur celles et ceux qui se sont présentés, à part quelques guignols, dont les vidéos ont beaucoup circulé. Je ne connais pas ces illustres inconnus, ni leur programmes…c’est une parodie d’élection, une comédie noire, indigne de notre pays. Un troisième jeune me dit simplement : Quelle honte d’avoir un record du monde que des élections ait attiré un tel pourcentage !!!
Alors j’ai décidé de me tourner vers les moins jeunes, afin qu’ils me disent ce qu’ils pensaient et comment ils justifiaient leur décision de ne pas être allés aux urnes. Une femme médecin me répond que ces résultats donnaient beaucoup de crédibilité au peuple Tunisien qui avait voulu crier haut et fort son ras-le-bol contre cette mascarade ! En fait, me dit-elle, ces résultats représentent le plus grand désaveu de toute la politique gouvernementale. Un autre médecin, en fin de carrière, a exprimé son effarement devant ce gaspillage sans nom de nos maigres ressources en consultations, référendum, et élections. Nous aurions mieux fait de restaurer nos hôpitaux et nos écoles et mieux payer nos jeunes médecins afin qu’ils ne choisissent pas de quitter notre pays pour des pâturages plus verts.
Je pense que ces quelques avis résument bien le sentiment quasi-général de trahison de l’espoir soulevé le 25 Juillet 2021, et il n’y a pas pire pour un peuple que de se sentir trahi. Ce peuple d’une patience exemplaire donne l’impression de l’accepter, mais à la première opportunité, il l’exprime haut et fort ! Et la question qui demeure : qui aura la capacité de canaliser la colère du peuple et de ne pas permettre que cela ne dégénère en un chaos total ? Rappelons au passage que le « tout répressif », s’il peut effrayer certains au début, n’est pas un scenario viable à long terme, et je conseille à celles et ceux qui l’envisagent, d’y réfléchir par deux fois !
La démocratie est une culture
C’est pour cela qu’une prise de conscience aussi bien des gouvernants que des gouvernés s’impose. Car si en effet, la démocratie est une culture, comme nous l’a rappelé Tahar Benjelloun, pour moi, au-delà d’être une culture, elle doit obligatoirement être accompagnée d’une très bonne gouvernance avec tout ce que cela implique. La bonne gouvernance étant l’art ou la manière dont le pouvoir est exercé pour gérer les ressources nationales économiques et sociales dédiées au développement. Elle inclut la présence d’un État de droit, l’équité, la responsabilité, l’imputabilité, l’efficacité, la transparence, l’inclusion et l’absence de corruption.
Or ces élections, pour lesquelles moins d’un million de Tunisiens ont jugé bon de se déplacer, ne reflète en rien une bonne gouvernance, celle-ci étant liée aux processus et résultats politiques et institutionnels nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable dans le respect le plus absolu des droits humains, des libertés individuelles et de l’égalité entre les citoyennes et les citoyens.
Aller de l’avant vers un deuxième tour ne ferait que confirmer la fuite en avant des gouvernants, qui au lieu de reconnaitre qu’ils ont pris le mauvais chemin, préfèrent persister dans leur erreur. Or la démocratie exige de permettre aux citoyens d’agir selon leurs intérêts, et d’exercer leurs droits universels, en s’acquittant de leurs devoirs, afin de participer à la décision et à la mise en œuvre des actions publiques, tout en aspirant à partager un projet de société reflétant une vision commune.
Or depuis 2019, et même depuis le 25 juillet 2021, aucune vision commune n’a émergé et la confiance a été érodée au fil des jours, jusqu’à sa traduction en chiffres, un certain 17 Décembre 2022, date qui restera gravée dans la mémoire du peuple, comme celle du plus cuisant échec de tous ceux qui y ont contribué d’une manière ou d’une autre. Ce manque de confiance s’est aussi matérialisé contre une opposition fragmentée et emprisonnée dans un cercle vicieux des priorités. Pour certains le politique étant prioritaire, alors que pour d’autres seul l’économique l’est ! A ces deux camps je répondrais que seule la Tunisie est prioritaire et que le seul engagement vrai est celui de la servir et non de se servir, et encore moins de servir une idéologie qui n’est pas la nôtre !!
Par Khadija Taoufik Moalla