Lors de son récent passage sur les ondes d’une radio locale, l’éminent expert en économie, Taoufik Baccar, n’a pas été tendre avec la loi de finances 2023. Puisqu’il la qualifie de « sans vision » et « à caractère fiscal ». L’analyse est sereine et les propositions pertinentes.
Qui mieux que Taoufik Baccar, l’expert en économie, ancien ministre des Finances, ancien gouverneur de la Banque centrale, et actuellement président du Centre international Hédi Nouira de prospective et d’études pour le développement (CIPED), pour jeter un regard neutre, désintéressé, mais sans complaisance sur l’actualité économique en Tunisie?
Taoufik Baccar : « Pas de vision claire pour relancer l’économie »
Décortiquant la loi de finances pour 2023, Taoufik Baccar n’y est pas allé de main morte : pas d’orientations pour accompagner le développement; pas de vision claire pour relancer l’économie; juste des mesures à caractère fiscal.
« Les investisseurs qui programment leurs investissements sur la base du contenu de la loi de finances, ne trouvent pas dans ce texte de mesures susceptibles de relancer les activités économiques dans leurs domaines d’intérêt ». Ainsi déplorait-il lors de son passage le week-end dernier dans l’émission « Le Grand débat » sur les ondes de Shems FM.
Manque de Rigueur
D’autre part, l’ancien gouverneur de la Banque centrale estime que les dépenses de l’Etat manquent de rigueur. Ainsi, rappelle-t-il, le budget de l’État s’élevait à 17 milliards de dinars en 2010. Il est passé actuellement à 70 milliards de dinars, soit près de 43 % du PIB tunisien. Et ce, sans réaliser pour autant de croissance économique. A cause, entre autres, de la hausse continue de la masse salariale; alors même qu’il fallait plutôt réduire les dépenses.
Effet d’éviction
Comment financer le budget 2023 alors qu’il nécessite la mobilisation de 24 milliards de dinars, dont 16 milliards de dinars sous forme d’emprunt auprès du marché international? Encore une interrogation que se pose M. Baccar. Cela relève de l’exploit, « même en cas de finalisation de l’accord de prêt avec le Fonds monétaire international (FMI) dont le montant convenu est de seulement de 1,9 milliard de dollars à décaisser sur quatre ans », assure-t-il.
Pour ce qui est de l’emprunt sur le marché local, explique l’invité de Mariem Belkhadi, l’emprunt auprès des banques tunisiennes provoquerait « un effet d’éviction ». Endetté, « l’État emprunte sur les marchés financiers et détourne ainsi l’épargne disponible des autres emprunteurs privés. Se transformant ainsi en concurrent de l’ensemble des acteurs économiques au niveau des prêts ».
Et de conclure avec une certaine amertume : « De quelle indépendance parle-t-on? La dette a évolué à un point qu’il n’est plus permis de parler de souveraineté. »
Sur la corde raide
Autre grief. A ses yeux, la forte pression fiscale « impactera nécessairement le coût de production. De même qu’elle relancera l’inflation déjà presque à deux chiffres et réduira la compétitivité des entreprises ».
D’autre part, l’ancien ministre des Finances pointe du doigt l’absence de plusieurs « mécanismes » permettant de réaliser une croissance économique du pays. Et notamment, il cite « la suppression, durant plusieurs années, des mécanismes de planification et de programmation ».
Ainsi, déplore-t-il, « auparavant, le budget de l’État était élaboré depuis le mois de juillet à travers des réunions entre les équipes des ministères du Développement et des Finances. La nouvelle Constitution aurait été bien inspirée de fixer une règle limitant le déficit budgétaire de l’État ».
Que faire?
Alors quelles solutions préconise-t-il pour sortir de la crise étouffante dans laquelle la Tunisie patauge?
Primo : la mise en place d’ « un gouvernement restreint de salut national composée de 12 à 15 membres ». Il se composerait de compétences nationales « ayant de l’expérience et qui se sont frottées aux grandes crises ».
Secundo : l’instauration d’un sérieux dialogue avec les grandes organisations nationales, notamment la centrale syndicale. Et ce, pour la mise en place, dans les plus brefs délais, d’une feuille de route; ainsi qu’un programme de salut national susceptibles de redresser la situation.
Tertio : l’assainissement de la situation financière et la mise en place d’une saine ambiance de confiance. Notamment dans le domaine du business, en cessant de « diaboliser » les hommes d’affaires.
Et de lancer enfin un cri de cœur : en 2008, dans le rapport de Davos, et sur un total de 168 pays, la Tunisie était classée 2ème après Singapour au niveau de la maitrise du budget et des équilibres budgétaires. Que c’est il passé entretemps? « On n’a pas le droit de laisser ce lourd héritage aux futures générations », conclut-il.