Prenant à témoin le peuple tunisien, le Président de la République, Kaïs Saïed a tenu dans la soirée du mercredi dernier un discours enflammé où il a pris notamment pour cible l’opposition composée à ses yeux d’ « anciens ennemis d’hier devenus alliés aujourd’hui. Mais qui, en réalité, appartiennent au même système ».
Il est d’usage dans le monde entier qu’à la veille des fêtes de fin de l’année, les chefs d’Etat et les monarques adressent à leurs peuples leurs vœux de bonheur et de prospérité. Et ce, via un discours rassurant, fédérateur et porteur d’espoir pour un meilleur avenir.
Tel ne fut pas le cas sous nos cieux dans la soirée du mercredi 28 décembre. En effet, le président de la République, Kaïs Saïed qui présidait au palais de Carthage la réunion du Conseil de sécurité nationale-un Conseil de guerre diront certains- prononça un discours qui aura beaucoup inquiété les citoyens.
Et à voire les mines de la cheffe du gouvernement Najla Bouden, des ministres régaliens de l’Intérieur de la Défense et de la Justice, ainsi que les hauts cadres sécuritaires et militaires qui siégeaient autour de la table présidentielle, l’on sentait dans l’air un parfum de solennité qui rappelle étrangement le discours historique prononcé par le Président un certain 25-juillet 2021.
Officiellement, il s’agissait de discuter de la situation générale dans le pays et des derniers développements sur la scène nationale. Or, le visage tendu, l’œil noir, la voix remplie d’une colère difficilement contenue, le Président s’adressait en vérité durant 22 minutes à la classe politique en général et particulièrement à ses ennemis politiques.
Lesquels au juste? Evidemment à l’opposition, qui, outre son rejet du processus du 25 juillet dans sa quasi majorité, appelait à boycotter le scrutin législatif du 17 décembre ainsi que son départ par le mécanisme d’une élection présidentielle anticipée. Ainsi, il tenait à signaler à ses ennemis de tout bord qu’il est là, debout face à la tempête. Surtout qu’il jouit du soutien du peuple et de l’appui des forces armée et sécuritaires.
Kaïs Saïed : « La feuille de vigne est tombée »
« La feuille de vigne vient de tomber! Ceux qui essayent de porter atteinte à l’État et à la paix sociale devront assumer leurs responsabilités ». Ainsi, menaçait le chef de l’Etat en pointant du doigt le comportement « inadmissibles » de certaines personnes « qui baignent jusqu’au cou dans la corruption et la trahison et qui dénigrent et insultent quotidiennement l’État et de ses symboles ».
« Le comportement de certains, avertit le Président, se hisse au rang du complot contre la sureté intérieure et extérieure de l’État. Cette situation ne peut plus durer. Ces personnes devront être sanctionnées, mais dans le cadre de la loi qu’il faut appliquer à la lettre ».
La Justice appelée à assumer ses responsabilités
« Les anciens ennemis d’hier sont devenus alliés aujourd’hui. Mais en réalité, ils appartiennent au même système. Et ce n’est qu’un partage des rôles. Car pour eux l’Etat et les biens publics sont un butin de guerre », a-t-il affirmé.
Ainsi, il appelé les « magistrats intègres » à assumer leur responsabilité « historique » en cette conjoncture particulière. « Il ne doit y avoir aucune tolérance envers ceux qui essayent de manipuler la loi, afin de permettre à certains criminels et spéculateurs d’y échapper ».
Et de citer une affaire survenue au gouvernorat de Gafsa. « Comment est-il possible qu’une personne monopolisant des marchandises d’une valeur de 300 mille dinars puisse être libérée après avoir payé uniquement une amende de 1000 dinars ». Cerise sur le gâteau, « on lui a restitué la marchandise saisie » !
Mystère
Par ailleurs, le Président ironise sur « ceux » qui osent prétendre que les droits de l’Homme sont menacés, « alors qu’une personne qui menace d’assassiner le président de la République circule librement, voyage et bénéficie même d’une garde sécuritaire rapprochée ».
Mais de qui s’agit-il au juste ? Certainement d’un chef de parti politique de l’opposition puisqu’il bénéficie « d’une garde sécuritaire rapprochée ». Alors pourquoi ne pas le citer nommément et surtout pourquoi ne pas le traduire devant la justice pour une accusation aussi lourde? Encore un mystère dont seul le chef de l’Etat détient la clé.
Et que penser de la vie des citoyens « qui souffrent des crises provoquées à répétition : les médicaments, le sucre, le gasoil, le café, l’hémodialyse. Alors que dans les années 60 et 70, il y avait moins de ressources, mais il n’y avait pas autant de problème?
Pour l’hôte du palais de Carthage, le coupable est tout désigné : « Ils provoquent les crises pour inciter contre l’État. S’ « ils » étaient réellement des patriotes, « ils » auraient présenté des initiatives de réforme. Les choses ont atteint une certaine limite et nous empêcheront que notre patrie et de notre peuple soient une proie facile pour les loups ».
Qui sont ces loups? Qui sont ce « on » et les « ils » omniprésents dans le discours présidentiel? N’est-il pas temps d’éclairer nos lanternes M. le Président?
D’autre part, le président de la République a mentionné « certains médias » qu’il a qualifiés de « mercenaires ». Rien que cela!
En 2016 ou 2017, a-t-il révélé sans toutefois citer des noms, un don de 40 milliards a été accordé par une société étrangère à un nombre de « prétendus analystes et experts dans des médias ». Lesquels ne sont « ni experts, ni analystes, mais des mercenaires qui se sont jetés dans les bras de l’étranger. J’ai les noms devant moi. N’ont-ils pas honte lorsqu’ils se regardent dans la glace ? ».
Notre souveraineté est une ligne rouge, mais…
S’adressant enfin au FMI qui a déprogrammé l’examen du dossier de la Tunisie, le chef de l’Etat a martelé que : « Notre souveraineté est une ligne rouge ». Affirmant que « nous ne céderons pas notre souveraineté, pour laquelle des martyrs ont perdu la vie ».
Un sursaut d’orgueil fort louable et partagé par l’ensemble de nos compatriotes. Excepté que c’est notre pays qui est demandeur et pas les bailleurs de fonds! Nuance.