Le discours, digne d’un homme d’Etat prononcé par Kaïs Saïed à l’occasion du Nouvel An, aura été brouillé par la faute d’une opération de com désastreuse. Dommage.
Le Tunisien n’est pas au bout de ses surprises. Il y a à peine quelques jours, le président de la République, Kaïs Saïed, qui présidait au palais de Carthage la réunion du Conseil de sécurité nationale prononça un discours incendiaire au cours duquel il mit tous ses détracteurs dans le même sac : l’opposition, les comploteurs de l’ombre, les spéculateurs suceurs du sang du peuple, les traitres, les corrompus, dont le seul tort est d’avoir boycotté le scrutin législatif du 17 décembre, la magistrature coupable de laxisme. Sans omettre, bien entendu, ces « mercenaires » de médias.
Bref un discours clivant entre « nous », les citoyens intègres et sincères Vs « eux », les forces du mal. Un discours qui a fait peur à nos compatriotes et même au-delà de nos frontières. Et notamment aux bailleurs des fonds surpris par tant de bouillonnement inquiétant, voire malsain.
Le Président a-t-il senti au fond de lui-même que le Rubicon a été allégrement franchi et qu’il fallait désormais corriger le tir?
Costume présidentiel
Toujours est-il que le locataire du palais de Carthage, endossant enfin son costume présidentiel, négocia un virage à 180 °.
En prenant la parole la nuit du 31 décembre pour exprimer ses vœux du Nouvel An à l’adresse de ses compatriotes, nous avons eu droit à un discours court d’à peine cinq minutes, fédérateur, conciliateur et de surcroît, prononcé sur un ton calme et affable. On se frotte les yeux!
« Espoir », « effort », « travail », « création de richesse », « la Tunisie ouverte à tous ses enfants », des mots apaisants et rassurants. Aux antipodes de l’habituel lexique présidentiel basé sur l’affrontement continuel et la tension permanente.
« A cette occasion du Nouvel An, au lieu de nous concentrer sur les difficultés engendrées par la pandémie, les grandes mutations internationales et le nouveau contexte mondial dont nous refusons d’être des victimes; nous devons retrousser les manches pour surmonter tous ces défis ».
Kaïs Saïed : il y a de la place pour tout le monde
« Nous voulons passer ensemble de l’abattement au travail, du désespoir à l’espoir. Le travail et l’effort sont les seules voies pour la réussite et la victoire. Par conséquent, « œuvrons ensemble à créer de la richesse pour réaliser les revendications légitimes des Tunisiens à l’emploi, à la liberté et à la souveraineté. Mais, soyons conscients que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ». Ainsi insistait-il; avant de prononcer la phrase tant attendue et espérée : « En Tunisie, il y a de la place pour tout le monde! »
Faut-il comprendre entre les lignes que le chef de l’Etat veut nous convaincre qu’à défaut du fameux crédit de 1,9 milliard de dollars que le FMI nous fait miroiter et en l’absence d’un plan B, nous n’avons d’autre choix que de compter sur nous-mêmes en « retroussant les manches » ?
Et que penser de la nouvelle doxa présidentielle selon laquelle en Tunisie, « il y a de la place pour tout le monde » ? Le Président a-t-il acquis, enfin, la conviction qu’il n’y a point de salut en dehors de la participation des partis de l’opposition, organisations nationales et forces vives de la société civile à l’effort national ? Tel est sans aucun doute la voie de la sagesse!
Une visite inopinée?
Or, fort malheureusement et c’est regrettable, ce discours porteur d’espoir fut flouté par une communication désastreuse.
Ainsi, l’homo populis n’aura retenu de cette soirée du Nouvel An que les deux vidéos mises en ligne par la présidence de la République. Elles filmaient une virée nocturne du Président à la cité Al Intilaka; un bain de foule qu’il affectionne parmi ses concitoyens; les mains serrées et les enfants embrassés face à la caméra; le capucin servi dans un verre « à dorure », luxe impensable dans un café populaire. Et surtout, la scène de l’épicier dans laquelle il exhibe fièrement une bouteille d’huile végétale subventionné très propre servie d’un cageot flambant neuf.
De là à penser qu’il s’agit d’un scénario préparé d’avance lors de cette « visite inopinée », il a une ligne que certains internautes très observateurs, ont allégrement franchie.