Le choix a été annoncé par le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie : une convertibilité totale du dinar dans le cadre du nouveau code de change. Une décision qui sera largement commentée, voire critiquée, durant des mois.
La Tunisie de 2023 n’offre pas le cadre économique optimal pour une telle opération. Toutefois, l’urgence d’un tel pas oblige le régulateur à aller dans ce sens. A terme, et si certaines conditions sont remplies, la Tunisie est capable de tirer profit de la convertibilité.
Le pour
La convertibilité conduit à une libre circulation des capitaux qui contribue, à son tour, à une meilleure allocation des ressources. Ces dernières seront allouées aux coûts les plus faibles et aux demandeurs de crédits les plus productifs. Lesquels sont aussi plus créateurs de croissance et d’emploi. A terme, la convertibilité peut aboutir à un rapprochement des prix locaux de ceux internationaux. A plus long terme, cette tendance pourrait toucher les taux d’intérêt.
L’effet potentiel le plus recherché est un flux d’investissements étrangers plus élevés. Il y a une vraie opportunité pour accéder à un financement plus rapide et plus efficace des activités économiques.
Pour la Bourse, la convertibilité est capable de rendre le marché plus liquide. De même qu’elle ouvre la voie à des investissements étrangers plus significatifs en portefeuille, aussi bien dans les titres de capital que de créance publics et privés.
Si des étrangers pourront souscrire aux Bons du Trésor ou aux obligations souveraines, cela allégera la pression sur les banques et les assureurs qui pourront orienter davantage de ressources vers l’investissement de la production.
Les établissements financiers pourront développer une vraie stratégie de diversification des risques en allant chercher des placements rentables en dehors de la Tunisie.
Il y a aussi un autre effet extrêmement important pour la Tunisie, qui est la discipline de l’action gouvernementale. Pour profiter réellement de la convertibilité totale, la Tunisie doit se forger une bonne crédibilité. L’instauration de celle-ci passe par l’adoption de réformes et la mise en place de politiques économiques cohérentes. Sinon, la sanction viendra immédiatement au niveau des parités de change.
Le contre
Si les conséquences positives d’une convertibilité exigent du temps pour se concrétiser, les effets négatifs peuvent en revanche se manifester immédiatement. Cela concerne essentiellement le désinvestissement par les étrangers et la fuite de capitaux.
Un tel phénomène risque d’exercer des pressions sur la politique monétaire et les taux d’intérêt. Il peut affecter la stabilité du système financier et bancaire, limiter les incitations à l’investissement et réduire la croissance.
L’affaiblissement des avoirs en devises complique l’action des autorités monétaires et peut causer une crise sociale pour un pays qui importe l’essentiel des ses biens de première nécessité.
En cas de forte chute du dinar, il y a un risque sur la balance des paiements. L’endettement extérieur deviendra cher par rapport à la taille de l’économie et pèsera sur le budget et les entreprises.
La maitrise de ces risques est entre les mains de l’exécutif. Tant que les perspectives économiques du pays sont bonnes, qu’il y a une stabilité politique et sociale, que le système financier est solide et que les institutions fonctionnent, un investisseur étranger qui a pris la peine de s’installer en Tunisie ne va pas penser à la quitter.
La Tunisie est-elle prête?
Ce qui est sûr, c’est qu’il a des mesures urgentes à prendre en parallèle à celle de la convertibilité. Il faut rehausser la compétitivité de l’économie nationale. En l’absence de telles réforme, l’effet de la compétitivité va disparaître et va même se transformer en un cauchemar.
Il faut d’abord s’assurer que les politiques budgétaires et monétaires permettent un certain équilibre entre l‘offre et la demande. Le niveau actuel des prix n’est pas un facteur favorable puisqu’ils détériorent la balance des paiements. La stratégie de développement doit être orientée vers une plus grande production locale pour la faire rapprocher de la demande. Une politique budgétaire prudente s’impose car tout déficit important va automatiquement se répercuter sur le dinar, l’inflation et donc les taux.
Les autorités monétaires doivent veiller à ce que le solde des transactions courantes soit financé au maximum par des mouvements de capitaux. Les réserves de change doivent être confortables, au moins lors du départ de l’application de la convertibilité.
Cela permettra d’éviter les variations excessives sans recourir à des restrictions sur la circulation des capitaux.
« En l’absence des réforme, l’effet de la compétitivité va disparaître et va même se transformer en un cauchemar »
A ne pas oublier l’amélioration du climat d’affaires pour stimuler l’investissement privé productif et doper la dynamique du marché financier.
Il y a donc du travail à faire pour réussir cette étape. Mais nous pensons que deux étapes clés ont été réalisées. La première est l’instauration de l’indépendance de la Banque centrale et l’amélioration de la santé financière du système bancaire.
Le marché de change est mieux structuré aujourd’hui, avec des banques qui disposent de salles de marchés modernes et avec les compétences nécessaires. De plus, la convertibilité ne partira pas d’un régime de change rigide. Au fil des années, sa gestion était flexible et il n’y aura pas, à notre avis, un choc lors du passage à cette nouvelle phase.
Ce qu’il faut mettre en tête c’est qu’un scénario à l’égyptienne n’aura pas lieu pour une simple raison : le marché noir des devises en Tunisie est étroit et n’a pas la même profondeur que celui égyptien.
L’écart entre un euro acheté auprès de la banque ou de particuliers est faible. Ce qui limite les risques de déviation.