Alors que la Tunisie appartient à la région MENA où toutes les projections s’accordent à avertir de la raréfaction des ressources en eau, nous avons interrogé les décideurs de la RSH sur les nouvelles pratiques à adopter pour faire face à la détresse hydrique grandissante à la faveur de l’atelier de démarrage de l’appui à la réforme institutionnelle de la Régie des sondages hydrauliques (RSH) lancé le 18 novembre 2022 sous la tutelle du ministre de l’Agriculture; une réforme dont le but ultime est de renforcer la mobilisation des ressources en eau de la Tunisie.
Selon Abdessattar Jébari, DG de la RSH, il ne s’agit pas uniquement de pratiques à mettre en place : « En plus de comportements, des décisions doivent être prises pour l’utilisation de l’eau elle-même dans le sens de la rationalisation. Deux tiers de la quantité pourraient être ainsi économisés ».
Notre interlocuteur évoque les grands pôles de l’action à déployer :
La sensibilisation
-Communiquer sur des pratiques comme celle de se brosser les dents avec un verre d’eau suffit alors que laisser le robinet ouvert nous coûte 10 litres;
-Encourager le retour aux traditions de nos ancêtres avec les réservoirs domestiques des pluies ‘majel’
Le rôle de l’Etat
-Mener des actions pour endiguer les fuites du réseau (les chasses d’eau qui coulent toute la nuit, les conduites de la Sonede qui sont très vétustes…);
-Traiter les forages vétustes et illicites (surtout dans le Sud), car ils épuisent les nappes souterraines dont le bilan montre une consommation supérieure à ce que nous fournit la pluie);
-Accélérer les process de désalinisation de l’eau de mer (à Sfax en 2025, et ensuite à Sousse, Zarat (près de Gabès), Djerba).
En ce qui concerne la conservation de la ressource et la maîtrise de la demande :
-Améliorer le rendement de la Sonede dans la lutte contre les pertes;
-Renforcer l’audit périodique et obligatoire des systèmes d’eau chez les grands consommateurs;
-Encourager l’innovation technologique dans le domaine de l’eau domestique;
-Introduire des modèles esthétiques et économiseurs d’eau pour l’arrosage à l’eau potable des espaces verts publics et des jardins particuliers;
-Encourager la mise en œuvre de projets collectifs et individuels pour la récupération des eaux pluviales et des eaux usées traitées destinées à l’arrosage des espaces verts et des jardins publics;
-Introduire le facteur « eau » comme un des éléments fondamentaux de l’aménagement du territoire;
-Repenser le modèle actuel de tarification de l’eau potable pour qu’il tienne mieux compte de la consommation domestique et des autres consommations à caractère économique.
Eau verte et agro-écologie
Quant à Mohamed-Chemseddine Harrabi, ingénieur en chef en génie rural à la RSH, il conseille d’investir dans la valorisation des eaux de ruissellement : « Le taux de mobilisation de l’eau de surface a atteint 95% et il est urgent de nous focaliser sur les autres ressources perdues par les ruissellements qui se perdent dans la mer ou par les évaporations ».
Il conseille de s’investir dans l’eau verte (l’eau de pluie stockée dans le sol et dans les végétaux, constituant l’empreinte eau d’un pays, d’une entreprise… ; indicateur de consommation effective aux différents stades de la production) comme on le ferait pour l’empreinte écologique. Il recommande également d’anticiper l’agro-écologie (croisement d’agronomie, agriculture, écologie, économie et sciences sociales où l’agriculture évoluerait, à terme, d’une logique d’exploitation à une logique de gestion). Concrètement, il s’agit pour Mohamed-Chemseddine Harrabi d’une mobilisation en 3 points :
-Organiser la gestion et le stockage de l’eau verte;
-Comprendre que les 450 000 ha de surfaces irriguées constituent un système intensif qui a atteint ses limites et donc mettre sur pied une nouvelle stratégie d’agriculture pluviale;
-Réaliser des programmes et un plan d’action opérationnel pour promouvoir l’agro-écologie comme nouveau concept d’adaptation au changement climatique.
Nos deux interlocuteurs font référence à l’étude ‘Tunisie : Eau 2050’ qui fixe 6 piliers de la sécurité hydrique nationale :
-Aménagement hydraulique des ressources du Nord, château d’eau du pays;
-Réhabilitation et maintenance de toute l’infrastructure hydraulique du pays;
-Faire de l’agriculture pluviale la fondation solide pour équilibrer notre bilan hydrique;
-Reprise, à grande échelle, de la recharge artificielle des nappes, malgré ses coûts;
-Développement de nos propres solutions technologiques et scientifiques pour la recharge artificielle des nappes, le traitement des eaux usées au 3e degré, le désenvasement des barrages, le dessalement de l’eau, la sélection de plants et semences adaptés au climat tunisien, le contrôle de l’évapotranspiration, la connaissance profonde de la pédologie;
-S’investir dans la gestion optimale des ressources et l’économie d’eau.
Une dernière recommandation de Abdessattar Jébari : « Notre stratégie à l’horizon 2050 prévoit toutes ces pratiques mais il faudrait voir au-delà, par exemple comme la Turquie avec son Horizon eau 2075 ».