La question qui est sur toutes les lèvres, depuis au moins le 25 juillet 2021 est : Pourquoi Rached Ghannouchi sur qui pèsent des accusations extrêmement graves, par le Parquet, est encore libre de ses mouvements en Tunisie, bien qu’interdit de voyage pour l’étranger? Sachant qu’il a passé des dizaines d’heures devant les différents juges d’instruction et que la nature même des accusations aurait envoyé n’importe quel citoyen en prison sous la forme d’une mise en détention préventive?
Ou ces accusations sont sans fondement comme le prétendent ses défenseurs; ou il y a anguille sous roche. Pour beaucoup moins que cela les anciens ministres de Ben Ali et des dizaines d’hommes d’affaires ont croupi pendant plus que vingt-cinq mois en détention préventive. Alors que la loi stipule qu’elle ne peut dépasser quatorze mois. Et ce, au cas où l’accusé risque de quitter le territoire ou qu’il constitue un grave danger pour l’ordre public. Bien sûr les organisations de défense des droits de l’Homme ont, à l’époque, fait semblant de regarder ailleurs. Alors qu’en est-il du cas Ghannouchi?
Rached Ghannouchi : un intouchable ?
Une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, il y a deux jours seulement, montre un journaliste saoudien sur une chaîne tv qui annonce que l’actuel Emir du Qatar aurait appelé la veille notre Président de la République pour intercéder en faveur de Rached Channouchi, en proposant un deal. A savoir : lever l’interdiction de voyage pour l’accusé afin qu’il puisse rejoindre Doha. Et en contrepartie, les médias contrôlés par ce pays pétrolier, dont Al-Jazira cesseront leurs attaques contre KS et son régime ainsi que leurs soutiens à ses opposants! Le journaliste, si tant est que cela soit vrai, ne dit rien sur la réponse de ce dernier. Mais l’argument que le journaliste saoudinen a largement développé repose sur l’intérêt qu’ont les Qataries à « récupérer » Ghannouchi.
Selon lui, Rached Ghannouchi serait la boite noire de l’Etat pétrolier, de part son implication dans plusieurs dossiers sensibles en tant que dirigeant de multiples succursales de l’organisation mondiale des Frères musulmans. Et notamment le financement des pasdarans iraniens, le Hamas palestinien et autres réseaux terroristes. Les Qataries auraient peur que cette « boite noire » ne tombe entre des mains hostiles.
C’est donc, non pas Ennahdha en tant que parti politique qui les intéresse, mais son sulfureux chef. Les relations entre cette petite principauté qui est juchée sur la plus grande réserve du gaz dans le monde, avec les frères musulmans et particulièrement avec leurs chefs dont Rached Ghannouchi et Yussef Al-Qardhaoui, n’est plus à démontrer. Le Qatar étant un sous-traitant de la politique étrangère américaine dans le monde arabe et accueillant même une des plus importantes bases militaires US, n’a aucun intérêt à ce que Rached Ghannouchi décide de chuchoter à des oreilles indiscrètes. D’où l’intérêt de l’intervention du prince qatarie auprès de Carthage.
Aucune réaction pour le moment à cette information divulguée par cette source. Mais elle a le mérite de lever un voile sur les véritables raisons qui poussent le régime qatarie à continuer à protéger le président du parti Ennahdha.
La thèse qui dit que si Rached Ghannouchi est gardé en liberté à cause de connivences avec certains magistrats ne tient pas debout. Car même si cela a été vrai, avant la dissolution de l’ancien Haut conseil de la magistrature qui était sous le contrôle du parti islamiste pour la bonne raison que ses membres ont été élus grâce au soutien des nahdhaouis, cela n’est plus possible maintenant et l’influence d’Ennahdha sur cet appareil est en perte de vitesse.
Reste une seule explication, pour le maintien en liberté de RG, une volonté politique qui tout en lui faisant subir un harcèlement judicaire assez soutenu, le garde en liberté peut-être pour d’éventuelles négociations avec ses protecteurs. Si l’information divulguée par le journaliste saoudien se confirme, cela suppose que Ghannouchi se prépare à lâcher ses alliés regroupés dans le Front du Salut, pour sauver sa tête comme il l’a fait en 1989 avec Ben Ali.
Tout le monde s’accorde pour dire que l’étau se resserre de plus en plus sur ses lieutenants, Hammadi Jbali, Ali Laraâyedh, Noureddine Bhiri et d’autres dirigeants de second rang. Car ceux là ne semblent pas bénéficier de protection étrangère particulière. Ils payeront tous les pots cassés par R. Ghannouchi.
L’ami algérien
Les médias tunisiens ont souvent la mémoire courte. Lorsque Ghannouchi était le maître absolu du pays lors de la Troïka, l’Algérie de Bouteflika lui déroulait le tapis rouge et il était reçu comme un Président de la République.
Mais Rached Ghannouchi aurait joué un rôle d’intermédiaire entre le régime de Bouteflika et Fajr Libya pour faciliter l’influence algérienne dans ce pays. Notamment avec Abdelkarim Belhaj, ex terroriste d’al-qaïda, avant de devenir un allié des Américains et des Turcs. C’est donc pour services rendus que l’Algérie tient encore à protéger Ghannouchi, services qui ont continué.
Ce qui explique en partie le rapprochement Qataro-algérien au dépend des relations de l’Algérie avec les Emirats arabes unis qui étaient au beau fixe à l’époque de Bouteflika. Il est donc certain que le pouvoir algérien actuel n’a pas lâché Ghannouchi. Surtout que les investissements qataris en Algérie sont au plus haut niveau. On peut supposer que les Algériens aussi intercèdent en faveur de R. Ghannouchi.
Et l’ami américain ?
Le mérite des Américains est qu’ils n’ont jamais caché leur sympathie, voire même leur soutien aux frères musulmans en général et à Rached Ghannouchi en particulier, et ceci depuis la guerre d’Afghanistan. Sous Bourguiba leur ambassadeur en Tunisie faisait du lobbying auprès du premier ministre Mzali en faveur de Ghannouchi et ses adeptes. Sous Ben Ali, une pression continue était exercée aussi pour légaliser leur formation politique. Et cela aurait pu se faire sans leur tentative de coup d’Etat, avec le fameux Stinger.
Mais les Américains qui pensaient et pensent toujours que le meilleur antidote contre l’islam radical est l’islam considéré comme Soft des Frères musulmans ont avec le printemps arabe boosté la prise du pouvoir par l’islam politique, par les urnes. Et ils se soucient très peu du devenir de cette mouvance maintenant qu’elle a accomplie ce qu’ils attendaient d’elle, déstabiliser toute la région du Maghreb et du Moyen-Orient et pousser ces états vers une normalisation forcée avec Israël.
En Tunisie, l’intérêt des USA n’est plus de laisser les islamistes reprendre le pouvoir mais de les garder comme force de pression assez puissante pour déranger quand il faut le pouvoir en place, celui de KS. Et l’obliger ainsi à ne pas basculer dans l’autre camp, celui des Russes et des Chinois. Ils constituent donc un « bouc de combat » comme le dit si bien le proverbe tunisien. Ils savent que Rached Ghannouchi ne peut plus jouer ce rôle et ils cherchent un autre leader islamiste pour reprendre ce rôle. Pour le moment ce statuquo qui persiste dans l’équilibre des forces leur convient parfaitement. Ils semblent avoir lâché R.G puisque aucun diplomate de l’ambassade US ne lui a rendu visite et aucune déclaration évoquant sa situation n’a été publiée. L’Amérique d’abord! Semblent-ils dire. Et les USA ont besoin de la Tunisie plus que jamais vu que la région est entrée dans l’œil du cyclone. Il faut qu’elle reste stable sans arrêter pour autant les pressions pour « un processus inclusif ».
D’ailleurs aucun islamiste n’a été reçu par l’administration américaine depuis des mois, ce qui est révélateur de leur nouvelle politique. Ils ne feront rien pour leur nuire, mais rien non plus pour les soutenir. Ce que R.G a très bien compris en se dotant d’un bouclier d’activistes non islamistes. D’ailleurs, tout le monde sait que l’administration américaine est divisée à ce sujet. Les trumpistes en particulier et les républicains en général sont de plus en plus hostiles aux tenants de l’islam politique.