La visite actuelle en Tunisie d’Emmanuel Moulin, en sa double casquette de directeur général du Trésor français et du président du Club de Paris, suscite dans l’opinion publique un profond malaise doublé d’une légitime appréhension. Est-ce un hasard si sa présence sous nos cieux coïncide avec les négociations en cours avec le FMI qui semblent au point mort. D’autant plus et que les deux têtes de l’Exécutif semblent avoir du mal à accorder leurs violons sur ce sujet.
Décidément, nous pataugeons dans un vaporeux flou artistique. Car, en somme, que savons-nous au juste de ce qui trame dans les coulisses des négociations toujours en cours avec le FMI? Et ce, depuis que le dossier tunisien a été déprogrammé sine die? Le gouvernement Bouden a-t-il un plan B? Sinon irons-nous, humiliation suprême, frapper aux portes du Club de Paris pour solliciter l’allègement de la dette abyssale de notre pays, afin de rétablir notre chancelante situation financière?
Double casquette
Sinon comment expliquer la présence sous nos cieux du directeur général du Trésor français Emmanuel Moulin qui est également président du Club de Paris; dont la vocation est de statuer sur les crédits des pays débiteurs. Est-il venu officiellement en tant que conseiller technique pour apporter l’expertise française susceptible d’aider l’équipe tunisienne chargée de négociations avec le FMI?
En effet, la cheffe du gouvernement Najla Bouden a reçu hier 25 janvier 202, au palais de la Kasbah, l’ambassadeur de France en Tunisie André Parant ainsi que ce haut commis d’Etat français, homme de crises du président Emmanuel Macron. Sachant qu’il avait géré la crise des subprimes en 2008 à Bercy, celle de la dette de l’euro en 2010 à l’Élysée et celle de la Covid-19, de retour à Bercy.
Evidemment, et selon la coutumière langue de bois, la visite de l’émissaire français s’inscrit dans le cadre « des concertations et d’échanges des points de vue entre la Tunisie et la France; notamment dans les domaines économique et social ». C’est encore ce qu’on peut lire d’un communiqué émanant de la Kasbah.
Toujours selon la même source, les deux responsables français ont réaffirmé l’engagement de leur pays à appuyer les efforts de la Tunisie. Et ce, pour mener à bien le processus de réformes ».
Or, c’est la deuxième fois que M. Moulin se rend en Tunisie. Déjà, il nous rendait visite en janvier 2022. Une visite au cours de laquelle il avait rencontré, le 31 janvier 2022, presque en catimini, la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, et certains économistes.
Polémique
A noter également que la visite du directeur général du Trésor français coïncide étrangement avec la polémique soulevée par les récentes déclarations faites par Mohsen Hassan, l’ancien ministre du Commerce dans le gouvernement Habib Essid.
En effet, concernant la participation de la délégation tunisienne au Forum Économique Mondial de Davos en Suisse, cet expert consultant auprès de nombreuses organisations internationales, avait affirmé dans la matinée du mardi 24 janvier sur les ondes d’une radio locale, que la dite délégation conduit par la cheffe du gouvernement Najla Bouden a présenté aux responsables du FMI un dossier qui comporte notamment une lettre conjointe d’intention signé par le président de la République en personne.
Toujours selon la même source, le FMI aura exigé du président de la République et du gouverneur de la Banque centrale de signer une lettre attestant de l’engagement de la Tunisie à mener des réformes économiques, dont une partie est déjà inscrite dans la loi de finances 2023.
Est-ce grâce à la lettre présidentielle que Najla Bouden a qualifié à l’issue de son entretien avec la DG du FMI, Kristalina Georgieva, en marge du forum de Davos cette entrevue de « positive » ?
Effusion d’amabilités
Sachant que la première responsable de l’institution financière internationale, chaleureuse, donnant une franche accolade à Mme Bouden, toute souriante, avait réitéré son soutien au processus de négociations entre la Tunisie et le FMI. Un signe interprété par certains comme le frémissement d’un déblocage de la situation.
Répartition des rôles?
Réponse sèche et instantanée d’une source de la Présidence de la République à l’agence TAP : « Contrairement aux informations relayées par certains médias, le Président de la République, Kaïs Saïed, n’a signé aucun document en rapport avec les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) ».
Ainsi, n’est-il pas légitime de penser que le président de la République entend se démarquer de la démarche de la cheffe de son gouvernement en affirmant haut et fort n‘avoir signé aucun document relatif aux négociations en cours avec l’institution de Bretton Woods?
A moins qu’il ne s’agisse d’un désaveu camouflé du gouvernement Bouden, chargé de s’acquitter de la délicate mission technique des négociations avec le FMI. Afin de s’ériger devant ses compatriotes croulants sous l’emprise de la crise économique comme le seul et ultime rempart contre l’ultralibéralisme sauvage des institutions financières internationales.
Une habile répartition des rôles?