Quand Israël tue les Palestiniens, pour l’Occident en général et les Etats-Unis d’Amérique en particulier, c’est « un Etat démocratique qui s’auto-défend contre le terrorisme ». Quand les Palestiniens réagissent, les voix furieuses et les doigts accusateurs se manifestent aussitôt à Washington et dans les capitales européennes pour fustiger « les criminels et les terroristes qui tuent les innocents. »
Cette triste tradition occidentale vient de se vérifier encore une fois ces derniers jours après les attaques par l’armée israélienne de la ville cisjordanienne de Jénine (11 morts palestiniens), et l’attaque un jour plus tard par un jeune palestinien d’une synagogue à Jérusalem (sept morts israéliens). Comme d’habitude, à Washington et dans les capitales européennes, un silence écœurant après le massacre de Jénine, et de furieuses vociférations contre « le terrorisme palestinien qui s’attaque à des innocents dans la Ville sainte ». D’ailleurs, Le président américain Joseph Biden a, dans un accès de démagogie de haute voltige, qualifié l’attaque d’Israël contre la ville de Jénine d’« acte d’autodéfense », et la réaction du jeune palestinien comme « attaque contre le monde civilisé »…
On le sait depuis des décennies, entre les Etats-Unis et Israël il n’y a pas que des solidarités, il y a aussi des similitudes. L’alternance au pouvoir à Washington ne change pratiquement rien dans la politique étrangère, ni dans la politique intérieure de l’Etat fédéral américain. Si l’on considère les soixante dernières années, on constatera que la politique étrangère américaine au Moyen-Orient a toujours été la même.
Que les Républicains soient au pouvoir ou les Démocrates, cela n’a jamais influé sur les choix fondamentaux de Washington : alignement total sur la politique israélienne et partialité flagrante en défaveur des Arabes. Et quand Washington décide de jouer les médiateurs dans le conflit israélo-arabe, son comportement fait penser à celui de cet arbitre de boxe qui, sur le ring, immobilise l’un des boxeurs pour permettre à l’autre de cogner à volonté.
La réaction de Biden est écœurante, mais pas du tout étonnante. Car on est habitué depuis des décennies à voir les Etats-Unis d’Amérique prendre systématiquement le parti d’Israël. Pas un seul gouvernement n’a eu le courage politique, ni la force morale, de frapper un jour sur la table du bureau ovale à la Maison-Blanche et dire stop! Assez! Trop c’est trop! A l’exception d’Eisenhower, qui avait pris la décision honorable d’arrêter l’agression tripartite franco-anglo-israélienne contre l’Egypte en octobre 1956, aucun président américain n’avait jugé nécessaire de se placer du côté de la justice et contribuer à régler un conflit qui a fait trop de ravages, nourri trop de tensions et fait couler des torrents de larmes et de sang.
Pire encore, il y a parmi les présidents américains ceux qui sont plus Israéliens que les Israéliens. Dans une lettre écrite en 2004 à l’ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon, Bush-fils l’encourageait à ne pas revenir aux frontières de 1967. Puisque d’après lui, « il est irréaliste de ne pas tenir compte de la réalité sur le terrain ». En d’autres termes, l’ancien président américain avalisait la prise de possession par la force des territoires d’autrui et encourageait l’agresseur à les conserver. Plus récemment, l’un de ses successeurs, Donald Trump, est allé au-delà de ce qu’espérait la classe politique israélienne en décrétant que le Golan est « un territoire israélien » et Jérusalem « la capitale indivisible d’Israël ».
Le grand paradoxe de notre temps est que la Déclaration universelle des droits de l’homme et le statut de réfugiés d’une grande partie du peuple palestinien sont nés la même année et coexistent depuis plus de sept décennies. La fameuse Déclaration s’étant révélée entièrement impuissante à secourir les réfugiés palestiniens du piège infernal qui s’est refermé sur eux. Karen Abuzayd, ancien commissaire général de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees) a, un jour, tout dit en une phrase : « Des 28 droits humains fondamentaux contenus dans la Déclaration universelle, pas un seul n’est appliqué dans les territoires palestiniens occupés. »
Les drames bibliques que ne cessent de vivre les Palestiniens depuis la Nakba étaient inscrits en filigrane dans une petite phrase écrite par Lord John Troutbeck, le chef du Bureau britannique au Caire à la fin des années 1940. Juste un mois après la création d’Israël le 2 juin 1948, Lord Troutbeck avait écrit au ministre britannique des Affaires étrangères de l’époque, Ernest Bevin, que « les Américains étaient responsables de la création d’un Etat gangster à la tête duquel se trouvent un groupe de dirigeants sans scrupules. »
Cette petite phrase de Lord Troutbeck est sans doute l’une des vérités absolues qui n’a pas cessé de se vérifier depuis la création d’Israël. Prenez n’importe quelle période de l’histoire d’Israël, qui s’étend de 1948 à ce jour, et vous trouverez que le jugement de Lord Troutbeck s’applique parfaitement. Un Etat gangster qui confisque les terres, les annexe, tue massivement les habitants, détruit leurs maisons, déracine leurs arbres et assèche les sources de leur subsistance, le tout dans l’impunité la plus totale.
La seconde moitié de la phrase est tout aussi vraie. Considérez la série des Premiers ministres qui ont présidé aux destinées de cet Etat gangster, de David Ben Gourion à Benyamin Netanyahu en passant par Golda Meir, Menahem Begin, les deux Itzhak, Shamir et Rabin, les deux Ehud, Barak et Olmert, ou encore Ariel Sharon, et vous vous rendrez compte que tous ces dirigeants n’ont jamais eu le moindre scrupule à déposséder les Palestiniens de leurs biens et de leurs terres. Pas le moindre scrupule à réprimer, tuer ou emprisonner tout Palestinien qui n’accepte pas le fait accompli israélien et opte pour la résistance.
Et aujourd’hui, on entend un peu partout en Occident des gloussements de vierges effarouchées face à l’actuel gouvernement Netanyahu, « le plus extrémiste de l’histoire d’Israël ». Une question pour ces belles âmes occidentales inquiètes pour « la réputation de la démocratie israélienne ». Que peut faire ce gouvernement de plus au peuple palestinien que n’aient déjà fait ses prédécesseurs?