Comment expliquer le boycott des deux tours du scrutin législatif par presque quatre-vingt-dix pour cent du corps électoral? Vote-sanction, défiance envers le processus du 25 juillet, rejet viscéral de la classe politique dans son ensemble? Le président de la République, Kaïs Saïed, nous livre sa propre lecture des résultats du dimanche 29 janvier 2023. Et c’est déconcertant.
C’est le moins que l’on puisse dire : la lecture présidentielle des résultats législatifs est déroutante. En effet, à peine 24 heures après la Bérézina électorale du second tour du scrutin législatif où presque 90 % du corps électoral en âge de voter ont boudé les urnes, le président de la République Kaïs Saïed prit la parole le lundi 30 janvier, lors d’une visite au palais de la Kasbah.
Pourquoi a-t-il choisi le siège de la Primature pour commenter les résultats décevants du dimanche, lui qui est si féru de symboles? Probablement par provocation pour les voix notamment de l’opposition. Lesquelles réclament un large remaniement ministériel ainsi que le départ de la cheffe du gouvernement Najla Bouden.
Aux uns et aux autres, le chef de l’Etat veut prouver qu’il est le maître des horloges et qu’il déroule à son propre tempo. D’ailleurs, le jour même, il limogeait deux ministres pour les remplacer par un militaire nommé à l’Agriculture et un dissident notoire de l’UGTT à Bab Bnet. Noureddine Taboubi appréciera ce geste amical.
Scrutin législatif : il fallait prendre son temps
A ce titre, ne fallait-il pas que Kaïs Saïed prenne le temps nécessaire pour décortiquer les résultats du scrutin législatif dans son ensemble et analyser dans la sérénité les causes réelles de la faiblesse de taux de participation aux deux tours des législatives, l’un des plus bas au monde : désaveu du programme présidentiel, désintérêt pour la chose politique de la politique, vote-sanction? Surtout, il aurait fallu capter le message clair du peuple.
Vote-sanction
Or, face à la locatrice du palais de la Kasbah qui buvait littéralement ses paroles et dandinait de la tête en signe de symbiose totale avec son illustre hôte, Kaïs Saïed se livra à une lecture très personnelle des résultats du second tour des législatives du dimanche 29 janvier 2023.
Ainsi, commentant les résultats du scrutin, le Président reconnut à juste titre, que l’abstention des électeurs lors des deux tours des élections législatives était un « vote-sanction ».
A ses yeux, « il importe de lire les résultats des élections autrement. Non pas au vu du taux d’abstention, mais plutôt à la lumière du taux de participation ». Le monde à l’envers.
Ainsi, arguait-il « 90 % des personnes concernées par les élections se sont abstenues de participer au scrutin. Il s’agit là d’un constat, d’un fait qui vient témoigner que le Parlement ne signifie plus rien pour cette large frange de l’électorat ». Ajoutant que le taux de participation aux élections de 11,4 % déclaré par l’ISIE, n’est autre qu’un témoin du « peu de crédit et du déficit de confiance » affiché par les Tunisiens envers ces institutions.
Un Parlement repoussoir
Il faut reconnaître que les Tunisiens se désolaient de l’affligeant spectacle que leur offrait la défunte ARP avec son lot de pitreries, de provocations clownesques d’un certain Saifeddine Makhlouf et ses consorts; de Abir Moussi qui arrivait à l’hémicycle un casque de motard vissé sur le crane; des agressions verbales et physiques; du tourisme parlementaire, des voix que l’on vend et achète comme aux enchères publiques. Mais, est-ce une raison pour remettre en cause l’appareil législatif dans son ensemble, pierre angulaire de toute démocratie, sous prétexte que l’ex-Parlement a failli?
Etrange argumentation. Ainsi, le chef de l’Etat impute l’abstention massive au rejet qu’inspire le Parlement dissout. Dans ce cas, à quoi sert d’avoir dépensé 69 milliards de l’argent du contribuable pour organiser un scrutin législatif afin d’installer une nouvelle Assemblée honnie d’avance par une large frange de l’électorat? A quoi cela rime d’installer un Parlement mal élu manquant d’avance de légitimité?
Vision manichéenne de K. Saïed
S’adressant sur un ton très dur à l’opposition « méprisable et discréditée par le peuple » qui conteste les résultats du scrutin, Kaïs Saïed assimile cette attitude à la « haute trahison ». Tout comme elle témoigne, affirme-t-il, de son « inféodation à l’étranger ».
Dilemme cornélien pour les partis politiques, notamment ceux de l’opposition : pour le Président, il n’y a point de nuance entre le noir et le banc. Soit on adhère à sa lecture personnelle des résultats du dimanche 29 janvier, par conséquent au processus du 25 juillet 2011; soit l’on est accusé d’intelligence avec l’étranger.