Comme par magie, les résultats du second tour des élections législatives, confirme par le taux de participation au scrutin, avoisinant les 11 %, le désaveu massif de toute la classe et les politiques qui ont dominé la scène pendant 12 ans. Ce n’est pas seulement le désaveu du nouveau système politique imposé par KS, celui qui ressemble de plus en plus à une caricature de démocratie, c’est surtout le rejet total du processus post-révolution, Acte 1 sous le règne des islamistes et Acte 2 sous le règne absolu de Kaïs Saïed. « Cette pseudo transition » qui a détruit l’Etat, mené le pays au bord de la faillite économique totale et fait éclater brutalement la société tunisienne en cours de transformation. Ce désaveu électoral est donc une forme passive mais résolue de résistance au coup d’Etat permanent opérée depuis le 14 Janvier 2011.
Le vrai peuple est composé de citoyens qui exercent leur citoyenneté à travers la participation à tous les scrutins dont l’issue, décide des choix politiques et économiques et même sociétaux qui doivent diriger le pays. Ceci évidemment dans une vraie démocratie. Dans une fausse démocratie comme la nôtre, un seul homme, ou un petit groupe d’hommes et de femmes décident pour un peuple qui n’existe que dans leur imagination.
Le vrai peuple contre les faux prophètes
Les différents mandats électoraux donnés par les citoyens à des partis politiques ou à des personnalités pendant la dernière décennie ne les autorisaient pas à faire ce qu’ils ont fait et appliqué comme politiques. Politiques qui ont mené le pays à la situation actuelle. Ils avaient tous trahis leurs électeurs.
Dans les vrais démocraties, les élus essayent de tenir les promesses et quand ils n’arrivent pas, soit ils démissionnent de leur poste soit ils démissionnent de la vie politique, tout court.
Avez-vous connu, un seul de nos élus qui a présenté sa démission et assumé ses responsabilités dans un échec quelconque? Jamais! Parce que ce sont tous de faux prophètes qui arrivent à tromper les citoyens qui les élisent une fois. D’où la déconfiture de tous les partis politiques qui ont exercé le pouvoir, Ennahdha, Nidaa, Hizb al moutamar, Ettakattol, Afak. Ce qui montre que le vrai peuple, celui des citoyens qui votent, n’est pas dupe et sait sanctionner quand il faut ceux qui lui ont menti. C’est une des règles précieuses qu’il faut retenir, établies pendant la dernière décennie.
Kaïs Saïed a raison quand il dit, que les 89 % des inscrits ont boudé les élections parce qu’ils n’avaient plus confiance dans le parlement, pas seulement le dernier, d’ailleurs. Mais bien tous les parlements avant et après 2011, mais pour des raisons différentes.
« Avez-vous connu, un seul de nos élus qui a présenté sa démission et assumé ses responsabilités dans un échec quelconque? Jamais! »
Cependant, ce que le Chef de l’Etat oublie sciemment de dire, c’est que le désaveu ne concerne pas seulement le parlement, mais toutes les institutions surtout celle de la Présidence de la République.
Accordons lui ce fait réel, que les 11 % qui se sont déplacés l’ont fait pour le soutenir, c’est-à-dire les quelque 800 mille citoyens. C’est donc uniquement ce qu’il pèse sur le plan électoral et ne peut donc plus se prévaloir des 70 % qui ont voté pour lui au second tour de l’élection présidentielle de 2019.
Alors, continuer à parler au nom du peuple est un déni de réalité et cela n’est pas étranger à notre Président qui reste malgré ses détracteurs, légal et légitime. Sa vertigineuse chute de popularité est due essentiellement à sa persistance à nier les faits, et ceci dans tous les domaines dans lesquels il essaye d’intervenir. Mais laissons aux spécialistes la charge d’analyser le phénomène.
Mais le plus grave est que ce phénomène de déni, comme un virus « politique » et cela existe, a touché l’ensemble des chefs des oppositions. C’est la « cage aux fous et aux folles », pas dans le sens que le célèbre film évoque, mais dans le sens où tous ces messieurs-dames deviennent gravement déconnectés des réalités politiques, économiques et sociales. Ce déni de réalité les poussent à se nier mutuellement et faire comme si tous les autres n’existaient pas. C’est la guerre continue de tous contre tous.
Tout se passe comme si, plus KS s’enfonce dans le déni de réalité, plus les chefs des oppositions accentuent leur propre déni. Et ils agissent comme si le Président de la République, qui contrôle désormais tous les rouages de l’Etat, n’existe pas. Ce qui est plus grave, c’est que certains parmi eux ont plus de soixante ans de pratique politique et se comportent comme de jeunes idéalistes extrêmement radicaux, méprisant le peuple, au nom de qui ils parlent aussi.
« Alors, continuer à parler au nom du peuple est un déni de réalité et cela n’est pas étranger à notre Président qui reste malgré ses détracteurs, légal et légitime »
La vérité est qu’ils se sont tous trompés de diagnostic et de calcul, croyant qu’une main « étrangère » viendra à leur secours pour les débarrasser de KS. Ce qui est aussi une preuve de leur méconnaissance pathétique de la géopolitique mondiale. Kaïs Saïed ne gêne nullement les grandes puissances. Plus il est affaibli, surtout par la baisse de sa popularité, plus il devient « influençable ». Mais elles ne viendraient jamais au secours d’une opposition, qui fait montre d’un tel manque de réalisme politique, et qui est incapable, toutes tendances confondues, de mobiliser plus de trois mille manifestants.
Pire que cela, les actions et les déclarations de ses différentes composantes, qui reprennent toutes la même musique, quant à la légalité et la légitimité de KS, ne la prédisposent pas à être une alternative au pouvoir actuel qui garantira, prospérité, démocratie et stabilité. L’absence d’une alternative crédible à KS est son meilleur atout. Ces oppositions sont même rejetées par la société civile et notamment sa colonne vertébrale, l’UGTT. Et non seulement ces composantes sont rejetées par l’écrasante majorité du peuple, mais elles continuent à se faire la guerre au dépend même de leurs intérêts.
Le fait accompli, qui changera la donne
Désormais, l’existence d’une chambre du nouveau parlement issu de la Constitution de 2022 qui sera complétée par une seconde chambre dite « des régions » est un fait politique accompli. En politique, le fait accompli est aussi une donne qu’on ne peut pas négliger, faute de tomber dans le déni de réalité. La nouvelle constitution et les lois et décrets qui en sont issus. Mais surtout l’existence d’un Président de la République qui monopolise, constitutionnellement et de fait, tous les pouvoirs.
Qu’on soit pour ou contre ces faits accomplis ne change rien à la réalité des rapports de force sur le terrain politique. Outre le réalisme politique qui exige qu’on prenne en considération ces faits « accomplis », la seule stratégie possible pour renverser politiquement les rapports des forces en faveur d’un projet qui préserve l’Etat tout en militant pour un projet qui regroupe les forces républicaines, passe par un dialogue avec Kaïs Saïed en tant que chef de l’Etat, même s’il continue à être dans le déni total de la réalité.
« En politique, le fait accompli est aussi une donne qu’on ne peut pas négliger, faute de tomber dans le déni de réalité »
Car ce rapport de force politique risque à moyen terme de ne plus lui être favorable, en raison de la situation économique catastrophique et qu’un vent de colère commence à souffler sur les couches les plus touchées par la crise, qui l’ont jusqu’à maintenant soutenu. Le taux de participation aux dernières élections en est la preuve éclatante. Cet avertissement s’il n’est pas compris par KS, risque de se transformer en mouvement large de contestation sociale. Ce qu’attendent précisément tous ses ennemis, dont les rangs se renforcent de jour en jour. Le risque d’une déstabilisation générale du pays est bien réel et ce sont les rapports des agences de notation et d’autres organismes spécialisés qui l’affirment.
Mais la nouvelle chambre, constituée probablement par d’anciens rcédistes et nidaistes, ne sera pas une sinécure pour KS; et ce, comme ont tendance à l’affirmer ses opposants. De possibles nouvelles forces politiques, même si leurs membres ont été mal élus, vont émerger, dont les intérêts ne coïncideront pas forcément avec ceux de KS et de sa mouvance très hétéroclites.
« Le risque d’une déstabilisation générale du pays est bien réel et ce sont les rapports des agences de notation et d’autres organismes spécialisés qui l’affirment »
On se rappelle de ce qui est arrivé aux partis comme Nidaa. Croire que les futurs députés vont suivre KS dans ses errements c’est ne pas connaître la nature des Tunisiens. Et c’est aussi faire une grosse erreur de diagnostic, ce que feront probablement les forces politiques classiques.
Même si cette assemblée n’a constitutionnellement aucun pouvoir sur l’exécutif, elle a le pouvoir de gêner considérablement KS et surtout son gouvernement. Et elle reste surtout une tribune. De toute façon, elle pourra toujours refuser les nouvelles lois présentées par l’exécutif et KS ne pourra pas continuer toujours à émettre ses décrets. La nouvelle assemblée sera vraisemblablement un champ de bataille que les partis politiques classiques ont eu tort d’abandonner.
En tout état de cause, ce qui est certain, c’est qu’on n’est pas sorti de l’auberge. La crise politique va prendre une autre tournure sans pour autant cesser de s’aggraver. La guerre des légitimités va s’accélérer. Ce qui laissera la porte ouverte à une intervention étrangère, cette fois-ci plus flagrante! Comme en Libye; sauf qu’elle sera sans armes ni milices. La Tunisie a toujours fait l’économie de la violence.