Lors de sa visite nocturne, mardi 31 janvier, à la caserne de la Garde nationale d’El Aouina, le président de la République, Kaïs Saïed affirme être en possession d’indices « quasi irréfutables », indiquant que le drame de Zarzis est « prémédité ». Une version contestée par le porte-parole du FTDES.
Saurons-nous un jour la vérité, toute la vérité, sur ce qui s’est passé la nuit du 21 septembre 2022 à Zarzis? Une affaire de migration clandestine par voie maritime vers les côtes italiennes qui se transforme en une affaire d’Etat. Selon la théorie du complot constamment ressuscitée par le Chef de l’Etat, l’embarcation qui transportait 18 migrants, alors qu’elle ne pouvait en contenir que sept personnes, aurait été sciemment sabotée par des mains criminelles. Et ce, dans le but d’envenimer la situation sociale à Zarzis.
Le droit à une dignité post-mortem
Pour rappel, l’embarcation de fortune disparaissait dans la nuit du 20 au 21 septembre. Des pêcheurs retrouvaient huit corps le 10 octobre. Mais douze autres migrants manquaient à l’appel. Certains corps furent alors hâtivement enterrés dans le cimetière « Jardin d’Afrique », réservé habituellement aux migrants subsahariens. Mais, les habitants déclenchèrent le 18 octobre une grève générale à la demande du syndicat local. Et ce, pour réclamer l’ouverture d’une enquête sur ce naufrage. Enfin pour protester contre un enterrement sommaire, dans des conditions douteuses. Et afin que les familles puissent offrir à leurs proches une sépulture digne.
« Crime crapuleux et prémédité »
Sachant que le président de la République Kaïs Saïed, lors de sa visite inopinée, mardi 31 janvier, à la caserne de la Garde nationale d’El Aouina, est revenu sur plusieurs sujets. Et notamment sur celui de l’affaire du naufrage d’une embarcation de migration clandestine au large de Zarzis. « Un crime crapuleux et prémédité dont les victimes sont des pauvres et des misérables ». Ainsi, martelait-il devant un parterre de hauts responsables sécuritaires. Notons à cet égard que le Président s’était déjà rendu dans la soirée du mercredi 7 décembre à la même caserne pour sommer les sécuritaires d’accélérer l’enquête en cours sur cette affaire..
Menu d’un dossier et d’une boite d’archive, le Président réitéra l’hypothèse du crime prémédité. « Des indices concordants, quasi irréfutables, indiquent que le naufrage est prémédité et qu’il y a eu assassinat. L’épave de l’embarcation a été retrouvée. Elle était trouée et le trou était colmaté avec de la résine », affirme-t-il.
Et de conclure, solennel, « le drame de Zarzis a été fabriqué de toute pièce. 200 000 dinars ont été injectés pour mettre en place toute l’opération. L’inhumation sans autopsie, en plus des corps jetés à la mer, n’avaient pour objectif que le pourrissement la situation dans la région », poursuit-il.
Soit. Alors, pourquoi ne pas exhiber devant la caméra la preuve « quasi irréfutable », en l’occurrence l’image du trou colmaté avec de la résine? Et pourquoi, par souci de crédibilité et de transparence, ne pas avoir chargé au préalable le ministre de l’Intérieur d’organiser une conférence de presse pour jeter la lumière, preuves à l’appui, sur les tenants et les aboutissants de cette affaire ? De plus, et alors que l’affaire est en cours, n’est-il pas légitime de penser qu’il s’agit là d’interférence dans une enquête menée par la police scientifique afin d’en orienter les conclusions?
La version présidentielle contestée
Or, la version présidentielle a été vivement contestée par le porte-parole du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), Romdhane Ben Amor.
En effet, lors d’une intervention téléphonique, le 1er février en cours, dans l’émission Midi Show, animée par Elyès Gharbi, l’intervenant soutient que « Le président de la République persiste à diviser les Tunisiens en deux camps. « Eux », en l’occurrence les familles des victimes et les associations de défense des droits de l’Homme, et « nous », c’est-à-dire lui même et ses partisans « honnêtes » ».
« Le président de la République, a-t-il ajouté, se base sur des rapports sécuritaires préliminaires ». Tout en soulignant à l’occasion que les informations dont dispose le chef de l’État « ne figurent pas dans le dossier de l’investigation ».
« L’embarcation n’a pas été présentée comme une pièce à conviction. Auquel cas, les familles auraient demandé une expertise pour vérifier la présence d’une voie d’eau dans la coque du bateau ». C’est ce que précise encore le porte-parole du FTDES. Soulignant que le Président « s’est mué en juge d’instruction et en magistrat prononçant presque le verdict. Ce que nous considérons comme étant une tentative d’orienter le dossier. »
Alors qui croire? Disons pour conclure que dans cette affaire enveloppée d’un épais brouillard, seule une justice sereine « laissera les morts enterrer les morts ».