C’est contre son gré que la Tunisie se retrouve impliquée dans l’affaire de l’activiste Amira Bouraoui. Laquelle ravive les tensions entre Paris et Alger. Explications.
Chasser le naturel, il revient au galop. En l’absence de communication officielle devenue une politique d’État, laissant ainsi la porte grand ouvert aux supputations et rumeurs, même les plus folles, n’est-il pas tentant d’établir un lien de cause à effet entre l’affaire de l’activiste franco-algérienne Amira Bouraoui, au cœur de la crise actuelle entre Alger et Paris, et le limogeage du ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi? Carthage lui ferait-il porter le chapeau des échecs récurrents de la diplomatie tunisienne?
Une sortie digne et élégante
A-t-il été démis de ses fonctions, le 7 février en cours par un communiqué laconique, à cause de la conversation téléphonique qu’il a eue avec son homologue syrien pour coordonner les efforts humanitaires suite au séisme qui a touché la Turquie et la Syrie? Difficile à croire. D’autant plus que le chef de l’État Kaïs Saïed décidait deux jours plus tard, lors de son entretien à Carthage avec le nouveau chef de la diplomatie, Nabil Ammar, de rehausser le niveau de sa représentation diplomatique avec la Syrie.
Le plus probable, c’est que Carthage songeait depuis quelques temps à remercier Othman Jerandi. Et que l’affaire de l’activiste algérienne ne fut qu’un simple prétexte pour le congédier d’une manière peu cavalière. Sachant que ce dernier eut l’élégance de remercier sur son compte tweeter le président de la République ainsi que la cheffe du gouvernement pour leur « confiance ». Rappelant à l’occasion que durant sa mission, « sa boussole s’orientait uniquement vers l’intérêt suprême de l’Etat tunisien ».
La colère de l’Algérie
Mais, revenons aux faits. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a décidé mercredi 8 février de rappeler « pour consultations avec effet immédiat » son ambassadeur. Et ce, à la suite de « l’exfiltration clandestine et illégale d’une ressortissante algérienne vers la France via la Tunisie. » Une affaire qui risque de raviver les tensions bilatérales, après une phase récente de réchauffement. De quoi s’agit-il au juste?
Une histoire rocambolesque
En effet, c’est le prestigieux quotidien Le Monde qui révèle les dessous de cette étrange affaire.
Selon le média parisien, Amira Bouraoui- gynécologue de son état, connue pour son engagement dans le mouvement +Barakat+ qui mena une campagne contre le quatrième mandat du président défunt, Abdelaziz Bouteflika- entrait clandestinement en Tunisie le 3 février. Et ce, alors qu’elle fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire en Algérie.
La police tunisienne l’interpellait avec son passeport français alors qu’elle cherchait à prendre un avion pour la France. Une juge la remettait en liberté lundi. Mais elle était emmenée ensuite par des policiers tunisiens; avant d’obtenir la protection du Consulat français à Tunis.
Finalement, elle a pu embarquer lundi 6 février dans la soirée à bord d’un vol de la compagnie Transavia en direction de Lyon. Et ce, « après des heures de négociations serrées entre les autorités françaises et tunisiennes », révèle Le Monde. En citant une source diplomatique française impliquée dans les discussions ayant abouti à son départ.
« Une opération clandestine et illégale »
Fureur à Alger. Le ministère algérien des Affaires étrangères s’est indigné mercredi 8 février « de la violation de la souveraineté nationale par des personnels diplomatiques, consulaires et de sécurité relevant de l’État français ».
Ces personnels, précise la même source dans une note officielle « ont participé à une opération clandestine et illégale d’exfiltration d’une ressortissante algérienne dont la présence physique sur le territoire national est prescrite par la justice algérienne. Ce qui est inadmissible et inqualifiable et susceptible de causer un grand dommage aux relations algéro-françaises ».
Pour faire court, Alger accuse le personnel diplomatique et sécuritaire de l’ambassade de France en Tunisie d’avoir exfiltré Mme Bouraoui. Alors qu’elle est interdite de voyage, étant et sous le coup d’une condamnation qui pourrait aboutir à deux ans de prison ferme.
Et la Tunisie dans tout cela?
Selon le quotidien français, grâce à sa nationalité française, l’activiste binationale a joui de la protection diplomatique de Paris. Laquelle, « après l’avoir accueillie quelques heures à l’ambassade de France à Tunis, a obtenu du président tunisien, Kaïs Saïed, l’autorisation de la laisser rejoindre la France. Au lieu de l’extradition vers Alger à laquelle elle semblait initialement vouée ».
« Il a fallu de multiples interventions de Paris auprès de la présidence et des plus hautes autorités tunisiennes pour empêcher son expulsion vers l’Algérie », assure Le Monde.
De là à penser que les autorités tunisiennes, soumises à de fortes pressions françaises et de crainte de s’attirer les foudres de l’Algérie voisine, se sont servies de Othman Jerandi comme fusible, il n’y a qu’un petit pas.