Abdelaziz Kacem, universitaire, agrégé d’arabe, homme de lettres et poéte présente un aspect plutôt méconnu du grand leader. Présentateur à la radio tunisienne, directeur général, Abdelaziz Kacem, était l’interlocuteur de la radio tunisienne du grand leader. Dans son livre, il évoque les interventions de Habib Bourguiba, auprès de lui.
Bourguiba écoutait la radio nationale, six heures par jour. Il réagissait à toutes les émissions auprès du directeur général de la RTT, qui se dit ballotté ‘‘entre l’oreille de la satisfaction et celle de la réprobation’’. Ce livre est plutôt élogieux. Abdelaziz Kacem affirme que ‘‘les œuvres et les paroles des grands hommes font avancer l’histoire. Malheur à la nation, gouvernée par des nains’’. Il offre son livre à ‘‘ceux qui sont restés fidèles au leader et à ceux qui lui ont pardonné en raison de la modernité qu’il a annoncée’’ (p. 9)
Dans son introduction, l’auteur décrit la naissance de la radio tunisienne, le 14 octobre 1938, place de l’école israélite. Le pouvoir du protectorat a désigné son premier directeur, le poète surréaliste Philippe Soupault. A l’époque, d’autres radios arabophones existaient en Europe : l’Italienne Radio Bari, dès 1934, la BBC, en 1938, Radio Berlin, en 1939. puis il cite les premiers directeurs de radio Tunis : Othman Kaak, Noureddine Ben Mahmoud, puis Habib Thameur, sous l’occupation allemande. L’auteur cite ses premiers chroniqueurs : Sadok Mazigh et la grande vedette de la radio, Abdelaziz Laroui. Bechir Mehedhbi fut le premier directeur de la radio tunisifiée, le 1er avril 1957.
Sans constituer des mémoires ou un recueil d’anecdotes, Abdeaziz Kacem évoque les interventions importantes du leader auprés de lui. Bourguiba rappelle à l’auteur le poème qu’il a écrit contre lui, dans son village de Bennane :réponse diplomatique de si Abdelaziz : ‘‘Les plus croyants, sont ceux qui auparavant étaient Kafer (mécréant)’’ (p.75).
Ayant bien connu le leader, Abdelaziz Kacem évoque l’interet qu’il accorde à la littérature et à l’histoire. Habib Bourguiba fut ‘‘l’unique président arabe contemporain qui a son poète’’ (à savoir Ahmed Laghmani) affirmait Chadli Klibi. Le poète Ahmed Laghmani était un disciple désintéressé, refusant toute rétribution du leader (pp.81-84). Habib Bourguiba accordait beaucoup d’intérêt à l’émission de jeunes Houat al-Adab (les amateurs des belles lettres) et accueillait volontiers leurs réunions au palais présidentiel de Carthage ou de Skanes. Mais il redimensionne cet intéte, puisqu’il affirma : ‘‘La renaissance ne se réalise pas par la poésie, le roman, mais par les sciences et la technologie’’. Il estime cependant que ‘‘la poésie est fondement, alors que la technologie est un instrument’’ (p.101). Abelaziz Kacem évoque l’admiration de Bourguiba pour un poème d’Abi Firas, à l’instar de son admiration pour La mort du loup d’Alfred Vigny.
L’auteur évoque le souci de Bourguiba, de relever le niveau des émissions religieuses : Critiquant Une émission qu’il jugea rétrograde, le leader se mit en colére et déclara : ‘‘Cinquante ans que j’ai vécu, dans les prisons, l’exil et les dures épreuves, pour libérer les esprits des sornettes et je me rends compte que ma radio agit en faveur de la débilité intellectuelle des citoyens’’ (p.112).
Conclusion de l’auteur : Bourguiba est laïc, adepte de la doctrine d’Auguste Comte ; mais il n’ignore pas l’influence de la religion sur les consciences. Il a appris de nombreux de nombreux versets coraniques, qu’il cite volontiers. Fait évident, il justifie le code du statut personnel par une lecture de l’esprit du Coran (p. 113). Cependant Habib Bourguiba est contre les discours religieux rétrogrades (p. 114). L’auteur rejette la fetwa du mufti d’Arabie Saoudite affirmant que Bourguiba n’était pas croyant. Il n’adopta point la stratégie antireligieuse de Mustapha Kamel. Ses discours évoquent la rationalité de Bourguiba, la responsabilité de l’homme et sa responsabilité, pariant sur la matière grise (p. 127).
Abdelaziz Kacem évoque la colère de Bourguiba suite à une chronique radiophonique téméraire critiquant violemment la politique des deux poids, deux mesures, pratiquée par les USA, eu égard au conflit israélo-palestinien. « Je sais mieux que quiconque, s’écrie le Président, que la politique américaine n’est en rien équitable à ce sujet, mais nous devons la ménager pour l’intérêt supérieur de la Tunisie. »(p.159).
Evoquant l’union tuniso-libyenne avortée, Abdelaziz Kacem justifie la précipitation par la vieillesse d’un Bourguiba, doutant de son charisme, face au choc pétrolier (p.166). J’explique cette question autrement : Bourguiba estimait que la petite Tunisie devait s’agrandir, pour faire face à l’Algérie et au Maroc, pays plus grands et ambitieux. Ne perdons pas de vue l’image du ‘‘château assiégé’’. Mais Bourguiba estimait que les destouriens étaient ‘‘les gardiens du temple’’. Kadhafi adoptait ‘‘la thérapie du choc’’. Il estimait que les hommes du service secret devaient infiltrer les structures de l’Etat tunisien. L’opération était préméditée. Une partie de poker à deux se jouait. Chacun d’eux espérait sortir victorieux du jeu et de rafler la mise.
Fait important, décrivant la réalité du pouvoir tunisien, l’auteur met en valeur le rôle politique de la femme du président, Ouassila Bourguiba. Elle a, de concert avec le premier ministre Hédi Nouira mit en échec l’union tuniso-libyenne puis a œuvré pour rétablir les relations entre les deux Etats. L’auteur décrit les rancœurs de Kadhafi contre Nouira (p. 172). Il révèle que le document de Djerba restitué par Kadhafi à Bourguiba, en 1982, condition sine qua non pour son invitation, à Tunis, était un faux. Le vrai restant bien accroché sur un mur central du musée national libyen.