L’annonce surprise de la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, en marge du Worl Government Summit réuni aux Emirats arabes unis, auquel a participé la première Ministre Najla Bouden, concernant la Tunisie, a créé une lueur d’espoir pour les Tunisiens dont l’avenir proche et lointain dépend du déblocage des 1milliard et 900 millions de dollars promis par le Fond Monétaire international à notre pays. Comme pour mettre fin à l’affolement général qui a gagné le pays suite à la mauvaise note de Moody’s, elle a ajouté que « le fond ne poussera pas la Tunisie vers le Club de Paris ». Ouf !!
La Tunisie et le FMI sont à la recherche « de nouveaux engagements financiers qui seront donnés à la Tunisie », assure-t-elle. On commence déjà, en respirant cette bouffée d’oxygène, à lorgner du côté de nos frères arabes moyen-orientaux, dont « la générosité » dépendra de notre accord avec l’institution de Bretton Woods. Mais pas eux seulement.
Le FMI au chevet d’une Tunisie malade
Selon des sources concordantes, cet accord se fera au cours des semaines prochaines. Sachant qu’une partie de ses éléments est déjà mise en œuvre et exécutée à travers la loi de finances actuellement en vigueur. Reste que cela dépendra aussi de plusieurs facteurs dont l’adhésion des syndicats, notamment l’UGTT. Ce qui semble actuellement impossible et plusieurs signes négatifs nous laissent présager le pire.
En effet, le bras de fer engagé entre l’UGTT et le gouvernement risque de prendre un tournant dramatique. Et ce, au moment ou le pays a le plus besoin d’un consensus social, faute de l’existence d’un consensus politique. Or, les deux consensus semblent désormais liés.
Le conflit s’est en effet déplacé du plan social au plan politique, après les arrestations qui ont frappé des dirigeants syndicaux régionaux ou locaux. Tandis qu’une vrai guerre médiatique est déclenchée entre les pro-Kaïs Saïed et les pro-UGTT, sur les réseaux sociaux. Elle atteint même une violence verbale jamais connue.
Pour les pro-Kaïs, il faut en finir avec les syndicats, à qui ils attribuent la faillite économique du pays. Les pro-UGTT, quant à eux, mettent en avant l’atteinte aux libertés en général et les libertés syndicales en particulier. Rejoignant de fait le front des oppositions, puisque le bureau exécutif, qui tenait une distance avec le Front du Salut, a fini par rejoindre celui-ci. Et ce, en demandant de geler le processus politique en cours après même l’élection de l’assemblée nationale; sans pour autant cesser d’appeler au dialogue.
L’UGTT prétend même qu’elle a constitué des commissions pour plancher sur un programme susceptible de conduire à une solution. Or, à la lecture des listes des noms qui composent les commissions, et notamment politique, on se rend compte du manque de sérieux de la direction syndicale. Les personnes désignées sont en général d’illustres inconnus ou des gens très marqués gauche radicale. Sans parler de l’impossibilité pour ces membres d’arriver à une synthèse qui peut constituer une plateforme pour un éventuel dialogue national.
L’exacerbation des conflits
L’exacerbation du conflit entre le gouvernement et la centrale syndicale coïncide (est-ce un hasard?) avec l’exacerbation du conflit entre Kaïs Saïed et ses farouches opposants. Les interpellations nocturnes et musclées selon les avocats des détenus et les accusations filtrées à travers les réseaux sociaux sont de nature à faire monter d’un cran la tension qui règne dans le pays.
Cette tension est d’autant plus forte que les personnalités arrêtées jouissaient jusqu’à là d’une influence certaine sur le microcosme politico-médiatique. Cela ne manquera pas d’aggraver la situation générale dans le pays. Et ce, au moment où il a le plus besoin d’un soutien international très large, notamment sur le plan financier.
Les réactions à cette nouvelle vague d’arrestations ont commencé à tomber. La première d’importance est celle de Monsieur Volker Türk, haut commissaire de l’ONU pour les droits de l’Homme. Effectivement, il a appelé « les autorités tunisiennes à respecter les normes d’une procédure régulière et d’un procès équitable dans toutes les démarches judiciaires et à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement; y compris toute personne détenue en relation avec l’exercice des droits ». Cette interpellation publique et ferme du représentant de l’ONU doit être étudiée avec beaucoup d’attention par le Ministère tunisien de la Justice en particulier. Car elle ouvre la voie à d’autres déclarations plus virulentes de la part de partenaires occidentaux et notamment européens.
Ainsi, la Tunisie doit communiquer à ce sujet, indépendamment de la justesse ou non des dernières interpellations. Le silence observé depuis le début de ces arrestations augmente la dose de suspicion qui pèse déjà sur cette situation équivoque. La Tunisie étant membre de l’ONU et ayant signé toutes les conventions relatives aux droits de l’Homme. L’on ne comprend toujours pas pourquoi ce silence, au moment où tout le pays attend des explications. D’autre part, beaucoup de défenseurs du Président de la République et de son gouvernement, qui s’affichent sur les plateaux des radios et des télévisions, communiquent très mal et sans professionnalisme. D’ailleurs, ils se retrouvent souvent sans arguments face aux attaques de leurs adversaires.
Quant aux réseaux sociaux, qui sont en effervescence, ils déversent une charge de haine et de mépris contre les personnes interpelées et non encore inculpées ou condamnées, que la Tunisie n’a connue qu’en 2011 pendant la « révolution ». Cette charge de haine risque de devenir contagieuse et de se transformer en violence physique. Et ce, si on n’arrête pas ce processus de diabolisation mutuelle.
Il y va de la sécurité nationale du pays. La violence verbale, quand elle n’est pas contenue et gérée, peut provoquer des catastrophes, si certaines conditions sont réunies. Il n’est nullement dans l’intérêt du pays, mais aussi de l’Etat, que cela ne se développe davantage. Une communication publique et sereine aura pour effet de calmer les esprits chauffés à blanc. Il revient donc au Président de la République d’amener son administration à réagir calmement dans le sens de donner toutes les informations nécessaires. Personne n’est au dessus des lois, faut-il encore savoir de quoi il en retourne. Malheureusement, ce déficit de communication dont l’objectif est de maintenir la cohésion sociale, semble être ignoré des gouvernants. Ce n’est pas seulement la démocratie qui l’exige, mais l’intérêt national.
Prêter le flanc aux interventions étrangères
Il ne suffit pas de répéter qu’on est un pays souverain, quoique la souveraineté nationale n’ait plus le même sens qu’en 1956. Il faut savoir la protéger. Or pour la protéger, il n’y a pas mieux qu’un front intérieur fort et uni. Il se trouve que ce front n’existe pas en ce moment pour plusieurs raisons qu’on ne peut pas expliquer dans cet article. La responsabilité de cette situation incombe à toutes les parties qui ont dominé la scène politique et sociale durant la dernière décennie.
Mais les conflits et les divergences politiques ne doivent pas empêcher la reconstitution d’un front intérieur. Faut-t-il encore que l’on soit conscient que c’est la seule voie pour sauver le pays. L’idée de dialogue national n’a aucun sens sans un projet national commun. Elle accentuera même les divisions et on l’a, à plusieurs reprises, essayé.
Logiquement, c’est en principe le rôle des forces qui sont au pouvoir et qui ont les moyens d’imposer politiquement ce projet. Or, il se trouve que les gouvernants actuels n’ont même pas présenté une esquisse de projet. Juste de vagues idées, que tout le monde a rejetées. La raison est que l’intelligentsia tunisienne a failli à son rôle pendant la dernière décennie et s’est laissée entrainer dans des guerres politiciennes sans envergure. C’est la trahison des intellectuels et leur opportunisme qui a laissé le pays sans projet national. Même les idéaux nobles de démocratie et des droits de l’Homme ont été instrumentalisés à outrance.
Au final, un vide idéologique et politique caractérise la situation actuelle et qui laisse la porte ouverte à toutes les dérives aussi bien anarchiques qu’autoritaires. Bourguiba doit se retourner dans sa tombe, lui qui a cru et milité pour un véritable Etat-Nation.