Face aux critiques « de certaines parties étrangères » relatives à la récente vague d’arrestations opérées à Tunis, le nouveau chef de la diplomatie, Nabil Ammar, est monté au créneau. Et ce, pour fustiger, au nom de la souveraineté nationale, « toute ingérence dans les affaires internes de la Tunisie ». Une voie échappatoire classique.
« Les déclarations de certaines parties étrangères sur les récentes arrestations sont hâtives, impertinentes et inexactes ». Telle était la réaction du ministre des Affaires étrangères, fraîchement nommé, Nabil Ammar, à la campagne de critiques orchestrée par la presse internationale contre la Tunisie. Et ce, suite à la récente vague d’arrestations d’une dizaine de personnalités politiques et médiatiques; ainsi que des magistrats qui occupaient de très hautes fonctions à la tête de l’appareil judiciaire.
Au point que Jean-Luc Mélenchon, le leader de la Gauche Insoumise et ancien candidat à l’élection présidentielle, a estimé, hier mercredi dans un tweet publié sur son compte officiel, qu’« en Tunisie, c’est une nouvelle dictature qui se dessine. Le syndicat des ouvriers UGTT et maintenant les radios libres et les avocats sont inquiétés. La France des libertés doit se mobiliser ».
Occupez-vous de ce qui vous regarde
Fustigeant ce qu’il considère comme une « atteinte à l’indépendance de la justice tunisienne », le nouveau chef de la diplomatie tunisienne, confronté à sa première crise à l’international, affirme que ces récentes arrestations interviennent « sur fond de graves affaires touchant à la sûreté de l’Etat ». Par conséquent, « elles n’ont aucun lien avec l’activisme politique ou des droits de l’Homme », a-t-il tenu à préciser dans sa déclaration, mardi 14 février à la TAP.
« La Tunisie, rappelle-t-il, n’a jamais commenté les actions en justice engagées dans certains pays ou institutions contre des hommes d’affaires, des politiques, des parlementaires ou des journalistes; tant que celles-ci se déroulent dans le respect des procédures en vigueur ». Exprimant ainsi « son étonnement et son refus de toute ingérence dans les affaires internes de la Tunisie ». De même que « toute tentative visant à influencer la justice sur des enquêtes en cours ».
De quelle souveraineté nationale parle-t-on?
M. Ammar reprend donc un thème omniprésent dans le discours présidentiel. En effet, dans la plupart de ses discours, le sourcilleux et altier chef de l’Etat, Kaïs Saïed, ne cesse de marteler la notion de la souveraineté nationale. Tout en refusant en conséquence toute ingérence dans les affaires internes de la Tunisie.
Un sentiment naturellement partagé par l’ensemble de ses compatriotes. Sauf que, hélas, l’indépendance de la décision nationale sonne comme un slogan creux. Et ce, quand un pays se trouve dans l’humiliante situation de quémander le concours du FMI pour boucler son budget!
L’ONU s’en mêle
Fait rarissime. Le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, se dit « préoccupé » par « l’aggravation de la répression » contre ceux qui sont perçus comme des opposants politiques et de la société civile en Tunisie. Et ce, au travers de mesures prises par les autorités qui continuent de « saper l’indépendance du pouvoir judiciaire ».
Le chef des droits de l’homme de l’ONU est également préoccupé par le fait que certaines des personnes détenues pour avoir critiqué le gouvernement ont été jugées par des tribunaux militaires. Il appelle les autorités « à cesser immédiatement les pratiques consistant à juger des civils devant des tribunaux militaires ».
Volker Türk demande aux autorités tunisiennes « de respecter les normes d’une procédure régulière et d’un procès équitable dans toutes les procédures judiciaires ». Il appelle également « à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement. Y compris toute personne détenue en relation avec l’exercice de ses droits à la liberté d’opinion ou d’expression ».
Le geste amical de l’UE
Pour sa part, l’Union européenne n’a pas manqué, en termes diplomatiques, d’exprimer sa « vive inquiétude » sur la situation en Tunisie.
En effet, revenant sur les dernières arrestations à Tunis, la Commissaire européenne à l’Égalité, Helena Dalli, déclarait, mardi 14 février à Bruxelles lors d’une plénière du Parlement européen, que « la Tunisie, bien sûr, est un partenaire très important de l’Union européenne ».
Cela-dit, « nous suivons avec attention et inquiétude les dernières arrestations qui ont eu lieu ces derniers jours. Nos valeurs sont claires et nous les avons exprimées avec force. Nous pensons que le respect du droit à un procès équitable et les exigences d’une procédure régulière, y compris la transparence judiciaire, sont fondamentaux ».
Et de rappeler avec force : « Notre partenariat avec la Tunisie est ancré dans les valeurs partagées comme la démocratie, l’État de droit et les Droits humains, y compris les libertés fondamentales ». Une menace à peine voilée. A quand les sanctions?
« L’Union européenne reste déterminée à continuer d’accompagner la population tunisienne dans un contexte socio-économique très difficile », poursuit Helena Dalli.
« Nous avons échangé avec nos États membres et nous pensons tous que ce serait une erreur de cesser maintenant notre aide. Ce qui imposerait le prix le plus élevé à payer au peuple tunisien. Ainsi, nous avons maintenu le niveau annuel de l’aide bilatérale et nous l’avons adaptée. Et ce, pour proposer des programmes significatifs sur mesure en fonction du contexte actuel », conclut-elle.
Ouf! Nous avons tout senti le souffle du canon. Cependant, si l’Union européenne, notre premier partenaire commercial, a décidé in fine de ne pas nous couper les vivres, pour le moment, les chancelleries occidentales se murent dans un mutisme pesant. Qui ne dit rien de bon.