Diplomate, politologue et homme politique, il a occupé le poste de ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement d’Union nationale. Président d’honneur de l’Association tunisienne pour les Nations Unies, il est à la tête de l’Association des études bourguibiennes. C’est de Ahmed Ounaïes qu’on parle. Il nous accorde cet entretien et avec le regard d’un homme expérimenté en la chose diplomatique, il décortique pour nous la position américaine quant au processus démocratique en Tunisie et sa corrélation avec la position du FMI.
On en saura aussi plus sur le nouvel ambassadeur US en Tunisie, sur le Président français Macron et sa façon de gérer le dossier tunisien. Ahmed Ounaïes ne mâchera pas ses mots pour critiquer nos frères arabes et il se montre sévère lorsqu’il évoque les dérives du processus de transition en Tunisie où, selon lui, la situation est devenue grave.
D’abord, une première impression sur la nomination de M. Nabil Ammar, nouveau ministre des Affaires étrangères.
Ahmed Ounaïes: J’ai un bon présage. D’abord, par le fait qu’il a entamé la reprise des relations diplomatiques avec la Syrie. Une reprise qui est devenue aujourd’hui nécessaire. Maintenant, il faut espérer qu’il ait la confiance du Président de la République, sans laquelle il ne pourra évoluer sereinement. J’espère enfin qu’il réanimera l’Académie diplomatique, en berne depuis un certain temps.
Vous avez, lors d’une récente déclaration, fait le lien entre le report de l’octroi d’un crédit du FMI et la position américaine relative au processus démocratique en Tunisie.
Il y a en effet une convergence des signaux de nos principaux partenaires, les Etats-Unis comme l’Union européenne, pour nous dire : « Nous sommes là, nous aiderons la Tunisie dans les moments difficiles et nous honorerons nos engagements ». Les mêmes signaux nous disent aussi qu’ils ont des craintes qu’ils n’arrivent pas à dissiper. Ils craignent une déviation quant au choix profond de la démocratie en Tunisie.
Est-ce dans ce sens qu’on peut comprendre la déclaration de l’adjoint du porte-parole du département d’Etat US, qui a avancé le faible taux de participation aux Législatives, pour appeler à « une démarche plus inclusive afin d’élargir la participation politique » ?
Ahmed Ounaïes: En effet. C’est une déclaration faite la veille de l’arrivée du nouvel ambassadeur. A cette déclaration, il faudra ajouter une deuxième déclaration, celle d’un membre du comité des affaires étrangères du Sénat, qui a dit à Washington qu’il venait d’adresser un appel au département d’Etat pour ne pas rétablir l’aide à la Tunisie, en conséquence du faible taux de participation aux élections législatives. La faible participation est un signal adressé par les Tunisiens à leur gouvernement. Nous sommes devant une évaluation formulée, en premier, par un Sénateur. Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’une autorité, au nom du gouvernement, à savoir le département d’Etat, enchaîne ni dans ce sens ni autrement. Pourquoi ?
J’avais su, deux semaines auparavant, que le nouvel ambassadeur avait fixé son arrivée à Tunis entre fin janvier et début février. Cette date avait été établie à la suite de la visite du Président Kaïs Saïed aux Etats-Unis pour le Sommet Etats-Unis/Afrique.
On savait qu’il y avait une réserve contre cet ambassadeur.
La visite du chef de l’Etat à Washington, lors du sommet Etats-Unis / Afrique, avait donné le signal positif.
Le problème s’est posé après l’audition de l’ambassadeur par le comité des affaires étrangères du Sénat à Washington. Quelques sénateurs lui avaient posé des questions sur l’extension des accords d’Abraham, accords qui consistent à normaliser les rapports avec Israël sans contrepartie pour la Palestine. Ces sénateurs avaient demandé au futur ambassadeur si, dans sa mission, l’élargissement des accords d’Abraham à la Tunisie était inclus.
La question était embarrassante pour le nouvel ambassadeur qui connaissait fort bien la position de la Tunisie sur ce point. Sa réponse a été qu’il représentait le gouvernement américain, qui soutenait l’option des accords d’Abraham et que, pour sa part, il s’efforcerait d’étendre l’accord dans la région où il allait exercer. Il n’a pas mentionné spécifiquement la Tunisie. Lorsque le rapport de presse américain sur cette audition était parvenu à Tunis, la réaction de l’opinion publique et des médias était évidemment hostile. Conséquence : il y eut comme un freinage du départ de l’ambassadeur pour Tunis. Un freinage qui a été débloqué par la visite du Président Kaïs Saïed aux Etats-Unis et sa rencontre avec le Président Joe Biden et avec le secrétaire d’État Antony Blinken.
D’ailleurs, on le sait maintenant, l’ambassadeur Hood a réussi son accueil à Tunis. C’est ce que nous avons constaté le jour de la présentation des Lettres de Créance et par la vidéo publiée par l’ambassade des Etats-Unis. S’adressant à l’opinion publique tunisienne, il a exprimé, en dialecte tunisien, sa connaissance fine de la Tunisie ainsi que sa sympathie pour le peuple tunisien. Nous réalisons sa résolution à approfondir les relations entre les deux pays, tout en sachant la position du département d’Etat, à savoir la condition exprimée pour rétablir l’aide à la Tunisie. A mon avis, au-delà du département d’Etat, l’ambassadeur s’en tient à la relation bilatérale et veut dissiper, à ce stade, les craintes de l’opinion tunisienne quant aux accords d’Abraham.
Un extrait de l’interview qui est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrebin n 863 du 15 février au 1 er mars 2023