Le secteur bancaire tunisien a fait l’objet d’une analyse approfondie par S&P Global Ratings dans un rapport qui s’intitule : « Alors que la Tunisie cherche des financements, ses banques font face à des perspectives incertaines » (As Tunisia Seeks Financing, Its Banks Face Uncertain Prospects).
Pour l’agence de notation américaine, les banques tunisiennes naviguent toujours dans l’incertitude. S&P a analysé la situation actuelle, tenant compte d’un accord avec le FMI. De même qu’elle a examiné les implications financières et économiques potentielles pour le secteur bancaire selon trois scénarios hypothétiques :
- Faible stress : le pays parvient à conclure un accord avec le FMI d’ici la fin du premier trimestre 2023. Et il met en œuvre avec succès les réformes convenues au préalable. Dans ce scénario, le pays mobiliserait également une aide bilatérale suffisante, entre autres des pays du Conseil de coopération du Golfe, pour financer ses déficits.
- Stress modéré : l’accord avec le FMI est signé; mais la mise en œuvre des réformes est incertaine. Ce qui se traduit par une mobilisation de fonds inférieure aux besoins.
- Stress sévère : pas d’accord avec le FMI et la Tunisie se trouve dans l’incapacité à mobiliser des ressources extérieures. Ce qui entraîne un défaut de paiement de la dette souveraine, tant en monnaie locale qu’en devises.
Contexte macroéconomique difficile
Selon le FMI, la croissance du PIB serait de 1,6 % en 2023. Tandis que ses déficits budgétaire et extérieur atteindraient un total cumulé de 13 % du PIB. La Tunisie est confrontée à des obstacles majeurs pour lever des fonds extérieurs. De plus, des divisions internes auraient entraîné des retards dans la mobilisation des ressources nécessaires. Les autorités tunisiennes et le FMI sont en pourparlers pour convenir d’un programme qui implique d’importantes réformes.
Par ailleurs, l’exposition des banques à l’État, y compris les prêts directs à l’administration publique, reste importante. Elle est à 83 % du total de leurs fonds propres, fin août 2022 contre 5,1 % fin 2010. Bien que cette proportion soit inférieure à celle observée dans certains systèmes bancaires comparables, elle représente une source de risque importante. Et ce, compte tenu du manque de visibilité sur la manière dont le pays financera son déficit jumeau.
Scénario de faible stress : un retour progressif à la viabilité financière
Dans le premier scénario, la mise en œuvre des réformes sera susceptible d’accroître progressivement la confiance et de relancer les investissements du secteur privé. L’économie devrait se redresser et les finances publiques et extérieures du pays retrouveraient une trajectoire viable.
La dette de la Tunisie atteindra 89,2 % du PIB fin 2023. Alors que le service total de la dette serait de 21,1 milliards de dinars, soit 13,2 % du PIB, dont 3,3 % du PIB en intérêts et 9,9 % en remboursement du principal.
Dans ce scénario, le système bancaire est mieux placé pour commencer à mettre en œuvre les réformes dirigées par la BCT. Telles que : le passage aux IFRS; le renforcement des exigences en matière de fonds propres; et la radiation des anciennes créances classées.
S&P prévoit également une amélioration de la confiance pour soutenir les prêts et la rentabilité. Mais aussi une détérioration modérée de la qualité des actifs en raison de la baisse du revenu disponible et de la hausse du coût de la dette. Le coût du risque devrait rester élevé; mais sur une tendance baissière par rapport aux 130 – 150 points de base sur 2020-2021.
Ce déroulement pourrait, toutefois, ne pas se concrétiser à cause d’un ralentissement en Europe ou de prix des matières premières plus élevés que prévus; et/ou d’un retour de l’instabilité politique ou d’une opposition majeure des parties prenantes à la mise en œuvre des réformes.
Stress modéré : un parcours semé d’embûches pour les banques
Dans ce cas, le manque de mise en œuvre des réformes empêche le pays de mobiliser toutes les ressources nécessaires pour financer son budget. Lesquelles sont estimées par la Loi de Finances à 14,8 milliards de dinars.
Si la Tunisie ne met pas en œuvre des réformes, le soutien bilatéral et multilatéral diminuerait et elle serait obligée de réduire ses dépenses. Compte tenu de la structure du gouvernement et de la prédominance des salaires publics (42 % des dépenses totales), il est probable qu’il réduise de manière agressive les subventions (16 % des dépenses) et les investissements (9 %) et qu’il accumule les arriérés.
En outre, le gouvernement pourrait prendre des mesures pour préserver ses réserves de devises et mettre en œuvre des restrictions strictes sur les importations. Ou même envisager un contrôle des capitaux sur les dépôts des non-résidents, qui représentaient 12,9 % du total des dépôts fin août 2022. Le point positif est que la plupart de ces dépôts sont détenus par des citoyens tunisiens vivant à l’étranger; ou encore des entreprises ayant des intérêts et des liens économiques en Tunisie.
En outre, en l’absence de soutien extérieur, le gouvernement pourrait également accroître son recours au marché local pour mobiliser des ressources auprès des banques ou d’autres opérateurs économiques publics qui disposent de liquidités. Cela accroîtrait la pression sur le financement des banques. Car certaines de ces entreprises publiques figurent parmi leurs principaux déposants.
Dans le cadre de ce scénario, S&P s’attend à une dépréciation du dinar tunisien par rapport aux principales devises et à une forte augmentation de l’inflation. Cela entraînerait probablement une réaction plus forte de la BCT. Ainsi qu’une pression supplémentaire sur la capacité de remboursement des entreprises et des particuliers. Le volume des créances douteuses continuerait à s’accroître. Tandis que les pertes de crédit pourraient éroder considérablement la rentabilité. Ajoutant donc une pression supplémentaire sur la capitalisation déjà tendue des banques.
Un stress sévère : une facture salée
Dans le troisième scénario, l’absence de soutien entraînerait une instabilité majeure de la balance des paiements, des finances et de la monnaie. Il pourrait conduire le pays à faire défaut sur ses obligations financières. S&P s’attend à ce que cela s’accompagne d’une dépréciation significative du dinar tunisien et d’une forte hausse de l’inflation. En conséquence, les banques subiraient des pertes importantes et devraient être recapitalisées.
Les calculs de S&P montrent qu’un défaut souverain pourrait coûter au système bancaire entre 4,1 et 7,6 milliards de dollars, soit 8,0 % à 14,8 % du PIB nominal 2023. Toutefois, cela ne prend pas en compte les effets potentiels d’une forte dépréciation du dinar tunisien qui viendrait accroître ces coûts.
Quel est le scénario préféré ?
Pour S&P, le scénario de base pour les banques tunisiennes se situe entre ceux de stress faible et modéré. Elle n’exclut pas que le gouvernement parvienne à un accord avec le FMI, mette en œuvre des réformes et mobilise des ressources supplémentaires. En même temps, les risques de dégradation sont importants et pourraient se matérialiser au cours des 12 prochains mois.
Les possibilités du repêchage sont donc concrètes pour la Tunisie. Ne serait-il pas mieux de laisser de côté nos différents politiques, même provisoirement, pour donner la priorité absolue à l’économie et au sauvetage du navire? Il faut toujours se rappeler que la sanction sera collective et toute la classe politique, quel que soit son positionnement, portera le chapeau.