La Tunisie vit, depuis une douzaine de jours, au rythme d’une précipitation d’événements sans précédent. Une précipitation accélérée à en perdre le Nord.
Des événements touchant tous les secteurs de la vie nationale. Mais commençons par le commencement. Il y a eu, d’abord, des arrestations de plusieurs personnalités du monde de la politique, de la justice et des médias sans que les autorités officielles ne daignent, encore, communiquer sur le pourquoi et le comment de ces appréhensions. Du coup, les observateurs politiques et les hommes de médias se retrouvent astreints à émettre des hypothèses et des extrapolations à propos des tenants et des aboutissants de ce dossier qui demeure une énigme pour tous.
Limitation aux éternelles hypothèses et extrapolations
En effet, on est limité à collecter les informations à partir des déclarations et des statuts des membres des comités de défense de chacun des détenus dont on citera, notamment : Khayyam Turki (Ettakattol), Kamel Letaïef (lobbyiste indépendant), Abdelhamid Jelassi (islamiste démissionnaire d’Ennahdha), Noureddine Bhiri (Ennahdha), Lazhar Akremi (avocat et activiste politique), Taïeb Rached (ancien président de la Cour de Cassation), Béchir Akremi (ancien procureur général de la République), Noureddine Boutar (journaliste et directeur général de Radio Mosaïque Fm, Walid Jalled, ancien député très actif à Soliman… Et sans avoir une idée précise sur les motifs de ces arrestations, on annonce, déjà, l’émission de certains mandats de dépôts : Il s’agit de Taïeb Rached, Noureddine Bhiri, Walid Jalled et Noureddine Boutar alors que Béchir Akremi a été placé en séjour à l’hôpital psychiatrique d’Errazi. Dossiers « vides » et rapports sécuritaires selon les avocats de la défense Pour les personnalités politiques, les raisons de cette décision sont déjà connues, même si la défense continue à crier que les dossiers sont vides et ne contiennent pas d’éléments solides étayant les accusations. On parle de rapports sécuritaires ou de statuts Facebook… Par contre, le dossier de Noureddine Boutar contiendrait, selon son avocat, Me Ayoub Ghedamsi, la mention de présomption de « blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite » et le reproche « d’une ligne éditoriale incitant à l’opposition contre le Chef de l’Etat et à l’agitation ». L’avocat va plus loin encore en précisant que « ce sont le contenu et les analyses faites à l’émission de Midi Show qui sont pointés du doigt » ! Ainsi, et en dépit de quelques bribes de données à caractère officiel, les médias continuent à patauger dans les méandres des hypothèses, des supputations et des extrapolations.
« Des criminels et des terroristes »
Dixit Kaïs Saïed Par contre, les seules donnes, criées haut et fort, proviennent du Président de la République affirmant, à peine trois jours après les appréhensions, que les personnes arrêtées l’ont été sur la base de « preuves irréfutables » avant d’enchaîner sur le même ton : « ce sont des criminels et des terroristes ». Ni plus, ni moins… En tous les cas, selon des fuites savamment dosées et confirmant les insinuations faites par le Chef de l’État, on évoque un éventuel complot contre la sûreté de l’État avec formation d’un « groupe s’activant pour fomenter une action destinée à changer la nature du régime et à attenter à la vie du Président Kaïs Saïed. Et ce n’est pas tout. Plusieurs autres personnalités et activistes politiques ainsi que des journalistes sont convoqués pour être interrogés par les membres des brigades des unités sécuritaires et judiciaires, et ce en vertu des articles de loi de lutte contre le terrorisme, contre les crimes financiers, sans oublier le dernier article 54 pour certains. On mentionnera, dans cet ordre d’idées, les Fadhel Abdelkefi, patron du parti Afek Tounes, Ghazi Chaouachi d’Ettayar, Mehdi Jelassi, président du Syndicat National des Journalistes tunisiens, sachant que le comité de défense de Noureddine Boutar organise une conférence de presse pour faire le point sur son dossier.
Opération de diversion ?!!
En ces moments, Rached Ghannouchi a fait son habituelle parade devant le juge d’instruction avant d’être maintenu en état de liberté après avoir brandi le « V » de la victoire. Mais le vrai hic a été le maintien en liberté de Hattab Ben Othman, activiste au sein d’Ennahdha et ami affiché de Seifeddine Makhlouf, mystérieux président d’un syndicat d’agents judiciaires étiqueté comme étant « islamiste notoire », avant de le remettre en garde à vue. Cette opération, la plus importante de par son ampleur et de par le « standing » des personnalités appréhendées, a été considérée, par certains observateurs au départ, comme étant un acte de diversions comme on en avait vu. Ces analystes évoquent l’épisode de la Fête nationale de l’Iran lorsque le siège de l’ambassade de ce pays a été le théâtre d’une immortalisation d’une image réunissant l’ambassadeur iranien en train de couper le gâteau en compagnie des ministres de l’Education et des Affaires religieuses, d’Issam Chebbi d’Al Joumhouri et, surtout, de Rached Ghannouchi !… Mais est-ce vraiment le cas ? Ce serait vraiment trop gros que de « piétiner » autant de monde juste pour faire de l’ombre à un événement à faire oublier.
Le Chef de l’État ne badine pas avec la souveraineté nationale
L’ambiance, très tendue dans le pays, l’a été davantage avec la décision prise par le Chef de l’État de faire expulser la secrétaire générale de la Confédération syndicale de l’Union Européenne, Esther Lynch qui, tout en participant à la manifestation organisée par l’UGTT à Sfax, a déclaré en substance : « Tous les gouvernements qui ont réussi ont négocié et dialogué avec les syndicats. «Attaquer les syndicats est une grosse erreur, l’UGTT est la vraie voix des travailleurs et nous allons la soutenir dans son rôle ». D’autre part, le Chef de l’Etat a mis en relief un autre problème en présidant une réunion du conseil de sécurité nationale consacrée aux « mesures urgentes devant être prises pour traiter le phénomène de l’afflux d’un grand nombre de migrants irréguliers subsahariens en Tunisie. Le Président de la République estime que cette situation est anormale, évoquant « l’existence d’un plan criminel élaboré depuis le début de ce siècle pour changer la physionomie démographique de la Tunisie».
Pour changer la physionomie de la démographie de la Tunisie
Et d’enchaîner que « certaines parties ont reçu de grandes sommes d’argent après 2011, pour l’établissement des migrants irréguliers subsahariens en Tunisie, assurant que l’objectif inavoué de ces vagues successives est de démontrer que la Tunisie est un pays africain sans racines arabe et islamique ». Le Chef de l’État précise, toutefois, que « la Tunisie est fière de son appartenance africaine, car elle fait partie des pays fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine tout en soutenant plusieurs peuples dans leur lutte pour la libération et l’indépendance ». Ainsi, les approches suivies par Kaïs Saïed sont mues par le concept immuable de la nécessité du respect de la souveraineté nationale tout en réitérant avec force le refus de toute ingérence dans les affaires intérieurs de la Tunisie considérée comme étant une ligne rouge à ne pas franchir.