Le bon sens exige une analyse rationnelle de la situation actuelle. Au-delà du cadre dans lequel les ressortissants des pays subsahariens ont débarqué, il ne faut jamais oublier que cela reste intimement lié à la physionomie de l’économie tunisienne. Leur départ aura donc des conséquences.
Poids léger du commerce extérieur
La dynamique des chambres mixtes de commerce, les missions des hommes d’affaires et les événements organisés ne sont pas reflétés dans le volume des échanges avec l’Afrique. Le continent n’est pas le marché principal des exportateurs tunisiens. En 2022, les exportations vers l’Afrique ont atteint 6 109 MTND. Un montant duquel il convient de retrancher les échanges avec l’Afrique du Nord, qui ont totalisé jusqu’à fin novembre 2022, 4 133 MTND. Au mieux, les exportations vers les pays subsahariens seraient de 1 976 MTND. Et ce, en supposant un mois de décembre blanc avec le nord du continent.
Côté importations, elles se sont établies à 7 300 MTND. En éliminant les transactions avec les pays du Maghreb et l’Egypte (5 948 MTND jusqu’à fin novembre 2022), nous trouvons que nos importations seront, au maximum, de 1 352 MTND en 2022. La région ne représente que 3,5 % de nos exportations et 1,6 % de nos importations.
Les explications sont évidentes. Nous exportons essentiellement des produits des Industries Mécaniques et Electronique, du Textile et des produits agricoles, qui ne correspondent pas aux besoins des populations africaines. Avec les puissances économiques du Continent, l’Afrique du Sud et le Nigeria, les volumes des échanges sont extrêmement faibles, inférieurs à 100 MTND sur l’année. Nous n’avons pas de liaisons aériennes et/ou maritimes directes et régulières avec les principales capitales et la représentation diplomatique demeure modeste.
Pourtant, l’Afrique est au cœur des convoitises. Les Etats-Unis sont revenues en force et Joe Biden est attendu pour une visite dans plusieurs pays en 2023. Les Chinois ont une présence unique et les russes ont monté en puissance. Les Japonais tentent aussi de se faire une place. L’enjeu est politique, mais surtout pour prendre une option sur l’accès aux matières premières inexploitées.
Poids lourd du commerce intérieur
Si l’Afrique n’est pas l’Eldorado des Tunisiens en matière d’échanges extérieurs, la réalité est différente au niveau de la dynamique économique locale. Pour mieux comprendre, il faut décortiquer le business modèle des TPE/PME tunisiennes.
Dans tous les domaines, le marché local est étroit et ne permet pas une stratégie de volume pour compenser des marges plus faibles. Face à l’effritement du pouvoir d’achat et à la hausse des prix des intrants, les entrepreneurs ont mis en œuvre des politiques de réduction des coûts variables, principalement les salaires. Le meilleur moyen est d’embaucher un immigrant africain, qui cherche un moyen de subsistance dans un pays où l’obtention d’un permis de travail est tout sauf facile. Connue par leur discipline et le rapport rémunération/qualité de travail uniques, la demande sur cette main-d’œuvre a explosé. Pour les Subsahariens qui rêvent de la rive nord de la Méditerranée, la Tunisie est un point de chute intermédiaire idéal car les réseaux d’immigration clandestine vers l’Italie sont devenus structurés.
Imaginons maintenant un départ soudain de cette population. Les conséquences sont inflationnistes. Les entrepreneurs ne vont plus trouver de main-d’œuvre au même prix et avec la même productivité. Les coûts de production vont flamber et donc les prix. Cela est applicable du petit coin qui vend des sandwichs tunisiens au grands constructeurs qui mènent des chantiers ou des travaux publics. Il faut retenir que la majorité absolue des emplois occupés par les Subsahariens n’intéressent pas les Tunisiens qui cherchent, eux aussi, à quitter ce pays. Nous risquons un choc pour le marché de l’emploi, déjà rigide.
C’est également un coup dur pour l’immobilier locatif. C’est vrai que c’est un business qui ne rapporte rien aux caisses de l’Etat puisque tout se passe dans le noir. Mais des milliers de familles vivent grâce à ces loyers. S’ils seront vides, des milliers d’appartements et de garages ne trouveront plus de preneurs. Théoriquement, c’est déflationniste; mais pratiquement ce n’est pas le cas.
Idem pour l’enseignement supérieur qui attire des milliers d’Africains. Selon les chiffres disponibles, près de 6 000 Subsahariens poursuivent leurs études universitaires en Tunisie, ce qui n’est pas rien.
La solution impossible
La meilleure solution est d’organiser la présence des Africains subsahariens. Pour vivre en Tunisie, il faut avoir des papiers, justifier d’un contrat de location et d’un autre de travail, et payer les impôts. Les autorités tunisiennes doivent mettre en place un cadre réglementaire plus souple, notamment un cadre juridique clair en matière sociale.
Mais attention. Si cela a lieu, la présence des subsahariens sera mécaniquement réduite pour une simple raison. Les entrepreneurs cherchent des employés qui acceptent de travailler sans une couverture sociale. Si la loi leur permet d’embaucher abstraction faite de la nationalité, mais les oblige à cotiser auprès de la CNSS, tout l’intérêt disparaîtra. Le manque de flexibilité à tous les niveaux de l’économie tunisienne fait que nous sommes incapables de profiter de n’importe quelle opportunité pour améliorer la productivité. L’affaire est très compliquée à gérer.
Par Bassem Ennaifer