Le séisme dévastateur qui a frappé la Syrie et la Turquie semble avoir dynamisé les timides tentatives de rapprochement entre les ennemis d’hier. La « diplomatie humanitaire » qui s’est déclenchée à la suite du séisme a ouvert la voie à plus de contacts politiques triangulaires syro-turco-arabes. Cette nouvelle dynamique diplomatique régionale a été confirmée le 27 février par les visites effectuées à quelques heures d’intervalle par le ministre égyptien des AE Sameh Chokri à Damas et Ankara.
Elle a été confirmée également par la visite à Damas d’une délégation de l’Union des parlements arabes. Reçus par le président syrien, les parlementaires arabes ont exprimé leur soutien au peuple syrien et appelé à la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe.
L’accueil particulièrement chaleureux auquel a eu droit le ministre égyptien tant à Damas qu’à Ankara démontre que la normalisation des relations syro-égyptiennes et égypto-turques est sur la bonne voie après plus d’une décennie de rupture.
La Syrie n’est pas en train de normaliser ses relations seulement avec l’Egypte, mais avec pratiquement tout le monde arabe, à l’exception du Qatar. Une normalisation annonciatrice d’une nouvelle donne régionale qui verra dans les mois à venir le retour de la Syrie dans le giron arabe, en dépit des réticences de l’émirat du Qatar.
Des pays comme l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis qui ont œuvré pendant des années au renversement du président Bachar al Asad par leurs soutiens aux groupes extrémistes, tendent aujourd’hui la main à Damas, exprimant la nécessité de mettre fin au statu quo qui isolait la Syrie depuis 2011.
Ni le désastre provoqué par le séisme, ni la quasi-unanimité arabe pour la normalisation avec Damas, ne semblent assouplir la position américaine vis-à-vis de la Syrie. Bien au contraire, Washington ne ménage aucun effort pour tenter de dissuader les pays arabes et la Turquie à renouer leurs relations avec le régime syrien.
« Nous ne soutenons pas les pays qui rétablissent leurs relations ou expriment leur soutien à la réhabilitation de Bachar al-Assad ». Ainsi déclarait le porte-parole du département d’État américain, Ned Price dans une récente conférence de presse. « Nous avons dit très clairement à tous nos alliés et partenaires que ce n’est pas le moment de normaliser les relations avec la Syrie, que ce n’est pas le moment de les améliorer. »
Cette position américaine n’est guère étonnante. Car une acceptation de la normalisation de la Syrie avec son environnement arabe et régional jetterait une lumière plus crue encore sur l’occupation américaine du nord-est syrien et le vol du pétrole qui se poursuivent depuis plus d’une décennie.
Selon le ministre syrien du pétrole, « les troupes américaines en Syrie sont concentrées sur leurs opérations persistantes et illégales de pillage du pétrole. Dernièrement, Washington a même intensifié son pillage du pétrole syrien afin d’atténuer les effets de la crise énergétique. (…) Les forces américaines volent plus de 80 % de la production pétrolière quotidienne du pays. »
Les effets terrifiants sur le peuple syrien de dix ans de guerre et du séisme dévastateur ne semblent nullement préoccuper les décideurs à Washington. L’indifférence impitoyable des Etats-Unis vis-à-vis des malheurs des peuples victimes de leur occupation est une constante de la politique étrangère américaine. Rappelons-nous les propos ahurissants de l’ancienne secrétaire d’Etat Madeleine Albright face à la journaliste qui lui demandait si les sanctions imposées alors à l’Irak valaient la peine de sacrifier un demi-million d’enfants irakiens? Ses quatre-vingts ans ne l’avaient pas empêchée de répondre froidement : « Oui, cela vaut la peine » …
Cela dit, on ne peut pas ne pas faire le constat, forcément plaisant, que les pressions américaines consistant à entraver la dynamique diplomatique régionale en faveur de la normalisation des relations syro-arabes et syro-turques n’ont eu aucun effet. Un signe clair que les Etats-Unis perdent de plus en plus de leur puissance et de leur influence. Un signe évident que le monde avance lentement mais sûrement vers la multipolarisation. En attendant la fin de la guerre d’Ukraine, une nouvelle configuration géostratégique mondiale est en train de prendre forme progressivement. Au grand soulagement de l’écrasante majorité de l’humanité, éreintée par les ravages générés par l’arrogance politique et l’agressivité militaire américaines contre des peuples sans défense.
Par Hmida Ben Romdhane