Les scénarios de sortie de crise ? Il n’y a et il n’y en aurait qu’un seul. Inutile d’aller chercher ailleurs des solutions en demi-teinte qui ajouteront au final de la crise à la crise. Ce sont les pires d’entre toutes. Il faut que tout change, pour que rien ne change. Sans quoi, nous ne saurons vaincre notre résistance au changement pour nous débarrasser de nos angoisses, de nos craintes et de nos peurs du lendemain.
De quoi s’agit-il au juste ? Briser une fois pour toutes le cercle vicieux de la dette, des déficits structurels et de la pauvreté. Cela revient, en clair, à enclencher un cercle vertueux d’une croissance autoentretenue, qui nous fera oublier les déboires d’une décennie de dérive politique, de déclin économique et de dérapage social. Il n’y a aucune fatalité à la crise pour un pays comme le nôtre, auquel rien ne manque et où tout peut concourir à son expansion. De nous voir dans un tel état de difficultés économiques et financières et de pénuries chroniques est une véritable aberration de l’Histoire. Il faut vraiment le vouloir et ne rien faire qui puisse enrayer l’effondrement. Il y a d’ailleurs plus à craindre des chocs intérieurs et de leurs répliques ravageuses que des chocs externes, aux effets contraignants, certes, mais passagers.
Dix ans durant, les pouvoirs en place ont entraîné le pays, consciemment ou non, dans un processus de déconstruction des institutions, de destruction de l’économie, de déni de gouvernance et de démolition de la valeur travail. Ils ont fini par le dénaturer, le dégrader aux yeux des agences de notation au rang de pays failli et de le marginaliser, alors qu’il venait d’être couronné prix Nobel de la paix par la seule volonté de la société civile. En cause, la dette tous azimuts, plutôt que l’effort, l’engagement et la rigueur, principal cri de ralliement de l’ensemble des gouvernements. On a sacrifié le futur sur l’autel des intrigues et des troubles du présent. L’exigence, de quelque nature qu’elle soit, est mise au rebut. Le pays n’arrêtait pas de tirer des traites sur l’avenir, de vivre au-dessus de ses moyens, de vouloir partager par anticipation une valeur ajoutée qui ne pouvait être produite. Pour toute réponse à nos excès et nos errements, on se rabattait sur la manne de l’endettement jusqu’à en mourir de plaisir, faute de nouvelles capacités d’emprunt au regard du poids de la dette devenue insoutenable. C’était aussi oublier que la dette d’hier, c’est déjà l’impôt, tant décrié, d’aujourd’hui et, plus encore, de demain. Exit toute dynamique d’investissement. Si bien que nous voilà aujourd’hui au pied du mur, aux frontières de l’absurde, en raison d’un laisser-aller et d’un laisser-faire dévastateurs. L’illustration nous vient du budget de l’État : 70 milliards de dinars, soit près de la moitié du PIB, avec pour seule perspective : un taux de croissance prévisible de 1,8%. Un vrai cas d’école. Les salaires et le service de la dette se taillent la part du lion. S’y ajoutent les transferts au titre des subventions – du carburant essentiellement -, de quoi mettre à l’arrêt le moteur des dépenses d’équipements. En clair, on tire un trait sur les investissements d’avenir. Situation paradoxale, ubuesque même : le budget, principal instrument de relance, s’érige en obstacle à la croissance. Dit autrement, c’est le train de vie de l’État et de ses entreprises qui obère l’investissement et freine la croissance. La raison en est que le cumul de la dette – qui coûte près de 14% du PIB – aura servi pour l’essentiel à couvrir les salaires, les transferts et les dépenses courantes de l’État sans rapport avec l’investissement.
Le temps n’est plus aux discussions stériles
La vérité est qu’on ne pourra rien concevoir, rien entreprendre sans sortir de cette logique infernale dans laquelle on s’est enfermé depuis plus de 10 ans. La vision, si vision il y a, les paradigmes d’hier, ont vécu. Nous devons en prendre acte. Et le faire savoir en s’engageant aussitôt à réparer et à colmater les avaries qui menacent de faire couler le navire Tunisie, qui prend eau de toutes parts. Le temps n’est plus aux discussions stériles, aux palabres politiques et aux hésitations sans lendemain. Le moment est venu pour repenser, redéfinir et redimensionner le rôle de l’État et réduire sa place dans l’économie. Rien de plus que le régalien, les secteurs hautement stratégiques et des services publics expurgés de leurs scories, au plus près des standards mondiaux en termes d’efficacité et de productivité. Pas de place pour les emplois déguisés ou fictifs, source de gâchis. Les entreprises en situation concurrentielle doivent s’inscrire dans une logique de marché. Elles doivent être responsables de leur sort. Leur maintien dans le giron de l’État ou leur cession aux privés relèvent de la seule exigence d’efficacité et de leur apport à l’économie nationale et à la collectivité.
Pour qu’on retrouve enfin la voie de la sagesse ?
Loin du tumulte politique, d’un climat délétère, le gouvernement doit reprendre les rênes de l’économie, faire le ménage dans le maquis bureaucratique. Et en finir avec le pilotage à vue qui ne mène nulle part. Il lui faut donner des gages de sa volonté réformatrice pour parvenir à un incontournable accord avec le FMI. C’est une question vitale. Sans la caution de ce dernier, sorte de certificat d’aptitude et de bonne gouvernance, les créanciers et les marchés financiers qu’on n’ose plus solliciter resteront sourds à nos appels et à nos difficultés financières. Auquel cas, les scénarios catastrophes ne seront plus exclus. On ne se remettrait pas d’une telle situation apocalyptique, si elle venait à se produire. L’honneur de la Tunisie a été, de tout temps, d’honorer ses engagements financiers.
Nous héritons d’une situation qui rend l’accord du FMI inéluctable. Surtout en l’absence d’un choc d’offre qui préparerait le retour à l’équilibre. On a beau déplorer, dénoncer le recours excessif à l’endettement sans aucun rapport avec l’investissement et la croissance, cela n’enlève rien à l’urgence d’un nouvel appel d’air, d’un apport financier étranger pour nous éviter une sorte d’euthanasie précoce. Tout le monde en est conscient, même ceux qui se barricadent derrière des pétitions de principe déplacées, au regard de la singularité et de la gravité de la situation. Les salariés en paieront, hélas, le prix fort. Pour autant, ils doivent prendre momentanément leur mal en patience. Aujourd’hui, ils s’en sortent difficilement, demain, si rien n’est entrepris, ils ne pourront pas manger à leur faim. Faut-il qu’on en arrive à ce scénario cauchemardesque pour qu’on retrouve enfin la voie de la sagesse ?
L’édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 864 du 1 er au 15 mars 2023