Est-ce le point de rupture dans les relations déjà fort orageuses entre le palais de Carthage et la centrale syndicale UGTT? Et dans l’affirmative, à qui incombe la faute de pousser la partie adverse dans ses derniers retranchements, l’acculant ainsi à atteindre le point de non retour?
Il faut reconnaitre que la présidence de la République et l’UGTT se partagent la responsabilité de laisser pourrir la situation. Laquelle n’aura jamais été aussi explosive depuis janvier 1978, où le sang des Tunisiens coulait pour la première fois depuis l’indépendance.
Dos à dos
D’une part, le président de la République, Kaïs Saïed, qui ne cache point son hostilité aux partis politiques et aux corps intermédiaires, à l’instar des organisations politiques, refusa pour la troisième fois la main tendue de Noureddine Taboubi. En écartant, lors d’un récent discours, d’un revers de main dédaigneux, l’initiative du Quartet pour le Dialogue national.
Une initiative mort-née? Alors que rien qu’hier lundi 6 mars, Sami Tahri, le SG-adjoint de l’UGTT, affirmait sur les antennes de Shems FM « que le quartet est en train d’élargir le cercle des consultations aux composantes de la société civile. Et que l’initiative sera prête dans sa forme finale dans quelques jours ».
Deuxième provocation : le Président prit la spectaculaire décision d’expulser Esther Lynch, la plus haute responsable syndicale de l’Union européenne pour « ingérence flagrante » dans les affaires intérieures du pays. Et ce, suite à sa participation à un meeting syndical à Sfax. Avant de refouler de l’aéroport Tunis-Carthage le chargé de coopération avec l’Afrique et l’Asie au sein de la CEC UGT, l’Espagnol Marco Perez Molina.
Face aux gestes présidentiels jugés hostiles, la direction de l’UGTT n’a pas su garder la tête froide, ni prendre la distance nécessaire avec des événements somme toute prévisibles; ni prendre en compte l’équilibre des forces qui ne sont pas nécessairement, à l’heure actuelle, en sa faveur.
Du coup, délaissant son rôle historique d’arbitre et de recours ultime quand les déferlantes s’abattent sur notre pays, la centrale ouvrière de Hached, de Tlili et de Habib Achour, en s’alignant sur les positions des partis de l’opposition, est devenue une parti prenante du jeu politique. Le piège qu’il fallait éviter absolument!
Un message ambigu
Ainsi, dans un discours de 37 minutes prononcé samedi 4 mars matin, lors d’un rassemblement ouvrier à l’emblématique Place Mohamed Ali, le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, a commencé par saluer « nos militants politiques et des droits de l’Homme à la prison de Mornaguia ».
Lesquels? le patron de la centrale syndicale évoque sans aucun doute l’arrestation fin janvier d’Anis Kaabi, responsable pour la branche autoroutes de l’UGTT en détention à la Mornaguia. Et ce, pour avoir lancé une grève sur les péages et occasionné des pertes financières à la société publique Tunisie Autoroutes.
C’est dans l’ordre des choses, sauf que fait-il allusion aux « militants des droits de l’Homme », à l’instar d’activistes politiques proches de l’opposition comme Ghazi Chaouachi, Lazhar Akrimi, Issam Echebbi, Jawher Ben Mbarek, Chaima Aïssa? S’agit-il pour sa part d’un simple message de soutien à des personnalités politiques jugées pour un délit d’opinion? Ou plutôt d’un ralliement à la cause de l’opposition dans son bras de fer avec le chef d l’Etat? Tout est dans cette nuance de taille.
Pour un militantisme « pacifique »
D’autre part, opposant le discours qui « unit » face à un discours « clivant qui incite à la violence et à la haine », l’orateur s’en est pris à la dernière sortie télévisée du chef de l’État, Kaïs Saïed, dans la soirée du vendredi 3 mars. Alors qu’il espérait un discours « pacificateur et rassembleur » et non à un discours « qui diabolise en des mots à peine voilés » la centrale syndicale.
« Personne ne peut surenchérir sur notre organisation, nos principes, nos valeurs et notre attachement à la souveraineté nationale. Certains ont gravé leur nom en or alors que d’autres sont relégués au plus bas de l’histoire, nous voulons être des premiers! » Ainsi, s’écriait-il, euphorique.
« L’UGTT, qui honnit la violence, appelle au militantisme pacifique ». Son but étant de rétablir une vraie démocratie, « loin de cette démocratie factice basée sur la peur et l’oppression », a-t-il encore ajouté. En précisant que son organisation « cherche à élargir le dialogue avec toutes les composantes de la société civile pour sortir le pays du marasme ».
Défendre notre honneur
Puis, revenant sur la scandaleuse hystérie collective contre les migrants subsahariens en situation irrégulière, N. Taboubi a pris, pour notre fierté à tous, l’accent d’un homme d’État, en martelant que « la Tunisie est une terre de paix et d’ouverture ».
« Et je le dis à nos amis africains, a-t-il poursuivi, non à la violence raciste, non à la xénophobie ambiante! Nous défendons les droits de l’Homme et l’humanité, nonobstant la nationalité, la race et l’identité ».
Des propos que les Tunisiens, en héritiers de cette bonne terre d’Ifriqiya, veulent entendre de la bouche de nos gouvernants.