Pour le spécialiste de rating, les banques tunisiennes sont confrontées à des risques de liquidité accrus en raison de l’absence d’un accord entre les autorités et le FMI quant à un nouveau programme de financement. Ce retard rapproche également le risque d’insolvabilité des banques du risque souverain, dans un scénario de défaillance potentielle de l’État, constate Fitch.
Des retards prolongés dans ce processus signifient l’intensification du recours du gouvernement aux financements auprès des banques locales. Donc une accentuation de l’exposition de ces dernières à la dette souveraine notée « CCC+ ». Mais aussi un resserrement des conditions de liquidité et un effet d’éviction sur les prêts du secteur privé. Fitch avertit qu’une approbation retardée, ou annulée, du dossier tunisien pourrait conduire à une dégradation de la note souveraine de la Tunisie. Cela mettrait en péril les décaissements prévus pour le financement extérieur. Tout en augmentant le risque d’une crise de la balance des paiements.
Explosion de l’exposition
L’exposition du secteur bancaire tunisien à la dette souveraine s’élevait à 26,7 MdsTND (environ 9 MdsUSD, 20 % du PIB) à la fin de 2021. Ce montant représente aussi 19 % des actifs du secteur et équivaut à 1,2x ses fonds propres. L’exposition la plus importante (51 %) revient aux investissements dans des Bons du Trésor et des obligations en monnaie locale.
En outre, les banques prêtent également aux entreprises publiques (35 % de l’exposition) en monnaie locale et en devises; avec une concentration sur quelques grands noms. De plus, les banques gèrent les risques liés aux devises étrangères par le biais des prêts syndiqués (14 % de l’exposition). Ces chiffres progressaient en 2022, puisque les besoins d’emprunt du souverain augmentaient de plus de 25 %.
Ainsi, Fitch prévoit que les besoins d’emprunt du gouvernement atteindront 25,3 MdsTND pour 2023. En l’absence d’un accord avec le FMI, la capacité de la Tunisie à obtenir et à lever des fonds extérieurs reste limitée. L’agence pense que le secteur bancaire national comblera une grande partie du déficit de financement. Et ce, avec une exposition souveraine totale potentiellement supérieure à 40 MdsTND (environ 13 MdsUSD). Cela exerce une pression importante sur la liquidité des banques. De même que cela accroît considérablement leurs risques de solvabilité dans un scénario de défaillance de l’État. Fitch n’écarte donc pas un défaut de paiement de l’État, ce qui se reflète dans sa note « CCC+ ».
L’impact d’une défaillance
Par ailleurs, les titres d’État détenus par les banques tunisiennes sont exclusivement libellés en monnaie locale. Dans un hypothétique scénario de défaut souverain, la restructuration de la dette en monnaie locale pourrait affecter de manière significative la capitalisation des établissements de crédits; et ce, en fonction de l’ampleur des décotes.
Même dans ce cas extrême, les autorités chercheront à limiter les pertes imposées aux banques pour aider à maintenir la stabilité du système financier. Cependant, si nous soumettons le secteur bancaire tunisien à une décote hypothétique de 50 % de son exposition aux titres de la dette souveraine à long terme, il est fort probable qu’elles ne respectent pas les exigences réglementaires minimales en matière d’adéquation des fonds propres.
Dans le cas d’une défaillance souveraine en monnaie étrangère, une dépréciation totale des expositions souveraines en monnaie étrangère affaiblirait sensiblement le ratio de capital total du secteur (13,4 % fin juin 2022), mais les banques resteraient solvables.
De ce fait, la menace la plus imminente pour les banques est le resserrement des conditions de liquidité dû au retard de l’accord avec le FMI. Lequel pourrait empêcher les prêts au secteur privé. Ainsi, le ralentissement de la collecte des dépôts des clients limitera la capacité du secteur à répondre aux besoins de financement élevés du gouvernement. Ces derniers de 6 à 7 MdsTND par an en moyenne au cours de la période 2020-2022, sont bien inférieurs aux besoins d’emprunt annuels du gouvernement en 2023-2024. Ceux-ci devraient avoisiner les 25 MdsTND. En conséquence, les banques pourraient devenir beaucoup plus dépendantes du financement de la BCT par le biais d’opérations d’open-market. La qualité des profils de financement des banques s’affaiblirait en conséquence, tandis que l’encombrement des actifs augmenterait.
L’enjeu des négociations avec le FMI est donc crucial et dépasse la seule question du refinancement de la dette externe. Il faut lui accorder la priorité absolue et éviter toute interférence avec les questions politiques en cours.