La décision prise par la Banque mondiale de suspendre son partenariat avec la Tunisie vient rappeler aux uns et aux autres que le traitement, à la légère d’une affaire interne, en l’occurrence le dossier de l’immigration subsaharienne, peut avoir des répercussions dommageables sur nos intérêts vitaux. Que cela nous serve à l’avenir de leçon.
L’annonce fit l’effet d’une bombe. Véhiculée en amont sous forme de note interne diffusée dans la nuit de lundi à mardi 7 mars, dévoilée par la suite par l’agence de presse britannique Reuters et enfin confirmée dans les heures qui suivent dans un communiqué officiel, la décision prise par la Banque mondiale de suspendre le partenariat avec la Tunisie prouve que le tollé soulevé en interne à propos de l’affaire des Africains subsahariens a eu des répercussions loin d’être négligeables sur la scène internationale.
Suspension ou report?
En effet, dans une note interne, le président américain de groupe de la Banque mondiale, David R. Malpass, déclarait lundi 6 mars 2023 : « La Banque mondiale suspend ses travaux avec la Tunisie après que les déclarations du président du pays sur les migrants d’Afrique subsaharienne ont déclenché des actes de harcèlement et de violence à caractère raciste ».
Par conséquent, l’institution financière internationale, très stricte en matière de racisme et dont la charte bannit le racisme et la discrimination raciale sous toutes leurs formes et dans tous les contextes, « reportera sine die la réunion du conseil d’administration prévue le 21 mars pour examiner un nouvel engagement stratégique avec la Tunisie ».
A savoir que techniquement, cette décision sert de base de données de suivi pour le Conseil d’administration de la Banque mondiale afin d’évaluer et accompagner la Tunisie dans ses programmes d’aide 2023-2025. Résultat : la BM ne peut plus lancer de nouveau programme de soutien au profit de la Tunisie; et ce, tant que son Conseil d’administration ne s’est pas tenu.
A noter que David R. Malpass a déclaré dans son courrier aux employés de la BM que « la Tunisie a une longue tradition d’ouverture et de tolérance ». Ajoutant que « les mesures prises par le gouvernement tunisien afin de protéger et soutenir les migrants et réfugiés dans cette situation très difficile vont dans le bon sens ». Mais, a-t-il averti, la Banque mondiale « évaluera et surveillera attentivement leur impact ». Nous sommes prévenus.
Trop peu, trop tard
Rappelons à ce propos, que la présidence de la République s’est fendue d’un long communiqué, dimanche 5 mars 2023, pour rappeler que la Tunisie est l’un des fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine devenue plus tard l’Union africaine et qu’elle a soutenu tous les mouvements de libération nationale dans le monde, notamment en Afrique.
« La Tunisie est une nation africaine par excellence et nous en sommes fiers. Les Africains sont nos frères et sœurs et la Tunisie a appelé ces dernières années à une Afrique pour les Africains. Elle a, également, lutté par tous les moyens disponibles contre le crime odieux de la traite des êtres humains dont souffrent encore nos frères africains jusqu’à présent. L’État tunisien n’acceptera pas que les Africains soient victimes de ce phénomène ignoble, ni en Tunisie, ni ailleurs ».
Et d’annoncer des mesures concrètes : délivrance de cartes de séjour d’une durée d’un an pour les étudiants des pays africains; facilitation des opérations de départ volontaire; dispense des « frères africains » du paiement des amendes pour dépassement de la durée de séjour autorisée, dans le cadre d’un retour volontaire. Trop peu, trop tard!
Pour sa part, agissant en pompier et cherchant manifestement à atténuer les effets néfastes de cette décision sur notre pays, le ministre de l’Economie et de la planification Samir Saied, estimait pour sa part, hier mardi 7 mars 2023, qu’il ne s’agit pas de « suspension » des discussions entre les deux parties mais de « simple report des discussions ». Un effort désespéré de tordre le cou à la vérité!
Ferid Belhaj : « Nous devons dédramatiser certaines choses »
Mais qui est mieux placé que notre compatriote Ferid Belhaj, le vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour démêler les fils de cette affaire qui tombe au pire moment; alors que nous sommes en pleines négociations avec le FMI et que la Loi de Finances 2023 prévoit 1 220 Millions de dinars comme appui de la Banque mondiale?
Dans son intervention hier, mardi 7 mars, en direct de Washington sur les ondes de Mosaïque Fm, Ferid Belhaj a tenu à rappeler que la Banque mondiale reste attachée à un ensemble de principes, notamment le refus du racisme et de l’exclusion.
La décision prise hier par l’institution financière de Washington aura-t-elle un impact direct sur les négociations avec l’institution de Brettons Wood? « Cela ne signifie pas la suspension des programmes en cours de réalisation entre la Tunisie et la Banque mondiale. Il n’y a aucun rapport entre la note interne adressée aux employés et l’accord entre la Tunisie et le FMI […] Il s’agit de deux institutions distinctes. La relation entre la Banque mondiale et la Tunisie n’a aucun rapport avec de possibles sanctions ». Ainsi, rétorquait Ferid Belhaj, catégorique.
Puis, il poursuivait : « Il s’agit d’une suspension provisoire du cadre du partenariat qui définit les orientations stratégiques des opérations pour le quinquennat 2023/2027, comme il est d’usage avec les autres pays membres ».
« La reprise du Cadre de partenariat avec la Tunisie pourrait avoir lieu durant les prochains mois. Ceci pourrait se réaliser en moins de huit mois. La Banque mondiale est en contact direct et constant avec le gouvernement tunisien. Nous devons dédramatiser certaines choses », conclut-il.
Mais que de temps perdu, hélas, pour la Tunisie alors qu’il y a péril en la demeure.